Un cours en ligne

Le contenu de ce blog est périssable.
Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

jeudi 12 juin 2014

Bibliographie sur le thème de la guerre

Les trois œuvres au programme sont :
ESCHYLE, Les Perses (éd. GF)
CLAUSEWITZ, De la guerre (Rivages poche)
BARBUSSE Henri, Le Feu, Folio

Il est possible de télécharger une autre version des Perses, (traduction d'Alexis Pierron) : http://remacle.org/bloodwolf/tragediens/eschyle/perses.htm
Et même de visionner une adaptation sur Youtube, un téléfilm de Jean Prat datant des années 60 :

Il existe quantité de manuels traitant du thème, analysant les œuvres, proposant des corrigés et des indications de méthode. J'ai participé à un recueil de dissertations La guerre, épreuves de français-philosophie, Dissertations & méthodes 2015-2016, Ellipses.

Il existe en ligne une bibliographie remarquable, celle du MagPhilo CNDP. Pourquoi ne pas commencer par jeter un coup d'œil à ses différentes rubriques ?

Sur le même site, on n'oubliera pas la filmographie associée :

Voici une sélection bibliographique personnelle pour compléter ce travail, étant donné qu'il existe une multitude d'œuvres qui, en totalité ou en partie, peuvent nous permettre de réfléchir ce thème de la guerre. On ne pourra jamais qu'en donner quelques exemples.

La Grèce et la tragédie grecque

L'Iliade, chant 1, chant 12

Jacqueline de Romilly, La tragédie grecque P.U.F.
Jacqueline de Romilly, Hector, Le Livre de poche
Victor Davis Hanson , La guerre du Péloponnèse, Champs-Histoire

Une analyse des Perses par Dominique Gouillart :

Héraclite, « Fragments », in Les Présocratiques, Gallimard
Platon, Lachès sur le courage

La guerre une épreuve sans panache

Hugo, Les Misérables, à Waterloo, la charge des cuirassiers
Zola, La Débacle

Louis-Ferdinand Céline, Le voyage au bout de la nuit
Ernst Jünger, Les Orages d'acier
Erich-Maria Remarque, A l'ouest rien de nouveau (Stock)
Maurice Genevoix, Ceux de 14

Sur le triptyque « La guerre » (1928-1931) d'Otto Dix, une analyse de S. Bruyère :

Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu (Grasset)

Norman Mailer, Les Nus et les morts (Gallimard)
Jesse Glen Gray, Au combat. Réflexions sur les hommes à la guerre

Dumora Jacques, Octave ou le Mort-Homme (éd. Orphie, à paraître)

Ouvrages d'auteurs classiques

Augustin, La cité de Dieu, Livre 19 chapitre 12
Machiavel, Le Prince (chapitre12-14) Hatier (Classiques et Cie)
Hobbes, Le Léviathan, Sirey pp 124-127
Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre 1à, chapitre 2
Rousseau, Du contrat social, livre 1, chapitre 4
Kant, Critique de la Faculté de Juger, § 28, P.U.F.
Kant, Vers la paix perpétuelle, Hatier (Classiques et Cie)
Hegel, La philosophie du droit, (§ 341-355, L’histoire universelle)
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. « De la guerre et des guerriers »
Comte, Cours de philosophie positive, tome 6, 57e leçon
Alain, Mars ou la guerre jugée, Folio
Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion

Les réflexions des polémologues et philosophes contemporains

Une critique des Lumières, celle du chevalier de Jaucourt, dans l'Encyclopédie, article « Guerre »
disponible sur Gallica (et l'article "Paix" de Diderot).

Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations. Ière partie, chap. 6, Dialectique de la paix et de la guerre
Günther Anders, La Haine à l'état d'antiquité, 2007 Bibliothèque Rivages
Gaston Bouthoul, Traité de polémologie, Payot
Canto-Sperber Monique, L'idée de guerre juste, 2010 P.U.F.
Thérèse Delpech, L’ensauvagement du monde, 2005, Seuil
Pierre Hassner, La violence et la paix. De la bombe atomique au nettoyage ethnique, 1995 Ed Esprit
Karl Popper, La Leçon de ce siècle 10:18
Bertrand Russell, Science, puissance, violence, 1954, A la Baconnière
Peter Sloterdijk, Colère et temps, 2007, Libella Maren Sell
Michaël Walzer, Guerres justes et injustes, 1999, Belin

Le dernier ouvrage mentionné est d'après moi le meilleur ouvrage, le plus complet, pour traiter le programme dans une perspective qui n'est pas celle du baratin ou du remplissage de copies. Voici le plan de ses cinq parties :

  1. La réalité morale de la guerre
  2. La théorie de l'agression
  3. La convention de la guerre
  4. Les dilemmes de la guerre
  5. La question de la responsabilité


Le site de l'Institut de Stratégie Comparée

Sélection d'articles disponibles sur Internet

Michel Cochet, « Guerre ou paix »

Hansen-Love, « La guerre (pour commencer) »

Hansen-Love, « Freud. Guerre et pulsion de mort »

Guy Pervillé « Qu'est-ce que le terrorisme » (2002)

Michel Sennelart, « La qualification de l'ennemi chez Emer de Vattel »

Et l'ensemble du site de référence des prépas scientifiques, Magister :

Bonnes lectures !

Une sorte de corrigé du concours centrale

Proposition de résumé, texte de Vladimir Jankélévitch, La Mort, I. IV, « Le vieillissement » p. 204-206, « L'homme est intérieur à son propre destin (…) donc étranger ».

La temporalité d'un être vivant est un horizon toujours ouvert devant soi.
Le temps subjectif est abondant ; le temps objectif est en revanche mesuré, borné, compacté dans la pensée. Une sorte d'illusion symétrique oppose ainsi une durée peau de chagrin, qui nous angoisse comme réserve inexorablement vouée / à l'épuisement, et un temps spatialisé qui nous obsède par sa tendance à s'étirer indéfiniment. Nous sommes inquiets car nous pensons le mouvement comme totalité close ou bien unité divisible à l'infini.

Certes, tous ceux qui ignorent l'ennui rêvent d'une vie se poursuivant éternellement. Fantasme ! Mais / l'éternité s'éprouve ici et maintenant, se découvre à celui qui s'immerge dans la durée vitale. La conscience est en effet capable d'éterniser le devenir. Pensons aux deux archétypes de la temporalisation que sont les mouvements de l'âme qui s'abîme dans la grâce d'une / musique et l'heur du condamné à mort qui découvre la formidable densité du moment actuel parce qu'il est devenu vraiment attentif au flux de ses impressions renouvelées.
Si le temps vécu s'éternise sans abolir la mort, un sujet peut vieillir en gardant un esprit jeune, une capacité / à investir continûment le présent, sans se préoccuper du futur.

210 mots

Dissertation.

ATTENTION. Pour ce "corrigé", je ne respecte volontairement pas le nombre de mots imposés (1200) dans le but de rendre plus claire la démonstration produite. 

« Une conscience intérieure à elle-même trouve en quelque sorte le présent éternel dans le grouillement des instants innombrables et infinitésimaux qui composent un devenir continu. »
Dans quelle mesure votre lecture des trois œuvres au programme vous permet-elle de valider cette affirmation de Jankélévitch ?

Le temps est un des thèmes privilégiés de la rêverie philosophique, entre dire poétique et pur baratin. Dans ce genre de rêveries qui ne vaut guère pour sa rigueur se déploient de multiples fantasmes et s'expriment de puissantes émotions, des peurs qui confinent à l'angoisse. Dans La Mort, Vladimir Jankélévitch en produit un parfait exemplaire. Voici ce qu'il dit au sujet de ce qu'il appelle le « temps vécu » ou bien le « temps vital » sans faire de claire distinction entre les deux : « Une conscience intérieure à elle-même trouve en quelque sorte le présent éternel dans le grouillement des instants innombrables et infinitésimaux qui composent un devenir continu. » Est-ce la parole d'un génie ou bien de l'enfumage ? L'analyse de cette forte parole y découvre trois caractéristiques qui pourront faire l'objet d'une réflexion dans une confrontation avec les œuvres du programme. D'une part, Jankélévitch parle d'une faculté supérieure à la raison, « la conscience intérieure à elle-même » qui est une sorte d'intuition pouvant s'approcher au plus près des choses et d'elle-même. D'autre part, il soutient une continuité du temps, parlant d'un « devenir » qui serait une sorte de puissance transcendante englobant toute chose dans sa nécessité et produisant son ordre propre. Enfin il suggère une possibilité d'éternisation du temps subjectif pour un sujet qui réussirait à se fondre dans le moment présent. Qu'en penser ?

L'idée selon laquelle il est possible de saisir la réalité vivante du temps dans une intuition est séduisante mais fragile. Voyons comment elle a pu être étayée théoriquement. Et demandons-nous alors s'il est possible de la retrouver en littérature.
L'auteur de l'Essai sur les données immédiates de la conscience est un partisan de l'intuition. Jankélévitch approuve sa méthode et lui emboîte le pas, cherchant à être le plus près des choses. Dans l'extrait que nous venons de résumer il fait jouer une opposition entre une surconscience abstraite ou englobante considérant toute chose dans un état d'achèvement et une conscience « intérieure à elle-même », se concentrant sur le présent et considérant le procès des choses en lui-même. Cette attention au devenir est en tout point l'intuition bergsonienne quoique Bergson insiste pour sa part sur la nécessité de dépasser les cadres figés du langage, de contrer les pièges de l'ordre discursif par une intuition ouverte au milles nuances du vécu.
Suivant Bergson ce sont les nécessités pratiques de l'existence qui nous poussent à « solidifier nos impressions », à reconnaître autour de nous des objets substantiels, dotés de fixité. Il donne l'exemple de la ville qui jour après jour, et même heure après heure, ne cesse de changer. La ville est mobile au niveau de la sensation et pour un sujet ayant une riche vie émotionnelle. Mais ordinairement une personne qui réside dans une ville en fait un objet aux contours figés. Au mieux ce sujet inattentif à sa propre conscience du changement fera vieillir la ville avec lui. Au pire il l'immobilisera entièrement, en projetant « la durée fuyante de son moi » dans l'espace homogène. On pourrait dire en reprenant la métaphore de Bergson que la multiplicité des instants vécus, des « impressions sans cesse changeantes », s'enroule autour de l'objet extérieur pour en adopter « les contours précis et l'immobilité ». La conscience intérieure de Jankélévitch parviendrait à dérouler cet écheveau de petites impressions et en retrouverait le caractère anarchique, aléatoire, imprévisible. D'où, vraisemblablement, l'emploi du terme de « grouillement » pour qualifier les instants de notre vécu qui peuvent se dérouler dans la conscience ou s'enrouler autour d'un objet.
Dans La Mort, Jankélévitch feint de croire que le contraste de la conscience de l'instant avec le temps déjà vécu tient à l'exercice de cette intuition au plus près des choses. Contre le temps racorni de la « chronologie objective », replié sur quelques idées mortes, la durée vivante de la conscience serait le déploiement toujours fécond de petites impressions ou minuscules sensations qualitativement diverses. L'explication est séduisante. Mais elle ne tient guère. Certes il existe un paradoxe concernant la durée de la vie. Rétrospectivement celle-ci est brève. La richesse de l'instant vécu semble disparaître à jamais quand le regard objective le monde et abolit l'impression purement esthétique que les choses produisent en nous. Mais ce n'est pas par rapport au présent qui serait dense ou « épais » que le passé serait fin et dénué d'intensité. C'est par rapport au temps du monde qu'objectivement la durée d'une vie est brève. Ce n'est pas parce qu'il serait appréhendé par l'intelligence ou une « surconscience », que le temps déjà vécu rapetisse. C'est tout simplement parce qu'en tant que passé il n'est plus ! Il n'est plus que présent disparu reconstruit à l'aide de la mémoire. Et cette reconstruction peut être singulièrement intense comme nous le montre Nerval au chapitre VI de Sylvie, dans l'épisode de la « table nuptiale » chez la vieille tante, où se succèdent des instants de mélancolie et de joie pure, faisant parler des vestiges en eux-mêmes dépourvus de valeur mais qui apparaissent soudain comme autant de symboles de valeurs éternelles : la beauté, la jeunesse, le don de soi. Le passé possède ainsi un charme subtil pour celui sait reconnaître les signes. Et c'est bien l'intelligence du narrateur qui en retrouve la saveur dans le présent.

L'expression de « devenir continu » sous la plume de Jankélévitch mérite une explication. Pour lui, tout devenir ne semble pouvoir s'opérer que dans une continuité temporelle. Un changement de forme ou d'état, un simple mouvement physique comme une translation s'opéreraient dans l'espace et dans le temps sous la condition de la continuité. Continuité veut dire alors maintien de l'ipséité de la chose qui change ou se déplace, malgré tout ce qui affecte sa mêmeté.
Un visage vieillit continûment avec des rides de plus en plus prononcées. Ainsi le visage de Clarissa vieillit dans le regard de ses connaissances ou dans son miroir. Mais la continuité du vieillissement est proprement imperceptible. Dans Mrs Dalloway, Woolf adopte une perspective sceptique. Elle insiste sur le fait que l'âge n'est pas une partie de notre identité mais une donnée sociale, que les autres nous imposent avec leurs jugements catégorisants. Ainsi c'est brutalement que le fait du vieillissement s'impose à Clarissa, alors qu'elle se soucie de Peter et peine à se reconnaître dans l'image que le miroir lui renvoie. Vu l'impermanence des choses, il ne peut y avoir de vérité éternelle de ce visage, seulement une impression fugace devant être recueillie comme une goutte qui tombe ! Dans une plongée « au cœur même de l'instant », Clarissa prend acte d'une rupture. En clouant l'instant sur place, en résistant à « la pression de tous les autres matins », elle parvient à comprendre qu'elle n'est plus en phase avec l'image qu'elle s'est forgée d'elle-même. Elle regarde un « visage rose et délicat » qu'elle doit reconnaître, accepter comme sien.
Quand l'accent est mis sur la progressivité ou les transformations silencieuses on retrouve la thèse de Bergson suivant laquelle le temps est continu mais hétérogène. La continuité serait même évidente d'après l'auteur de l'Essai, nos sensations s'enchaînant et se fondant les unes dans les autres. On ne lui adjoindrait l'idée inexacte d'un temps homogène que par contamination avec la représentation de l'espace. En vrai, la durée serait hétérogène, vécue plus ou moins intensément, suivant la variation qualitative du flux de nos sensations. Mais si l'homogénéité tient à l'adoption d'une perspective, pourquoi la continuité serait-elle réelle et non pas elle aussi une construction de l'esprit ? Si la vérité du temps est celle d'une musique, comment ne pas voir que derrière la fusion des notes en une mélodie se tient un rythme et que celui-ci présuppose la discontinuité du temps comme le remarque Bachelard ? Le rythme n'est pas une cadence qui se répète à l'identique mais un système de ruptures, de variations presque prévisibles (car rétrospectivement prévisibles!) qui introduit sans cesse du nouveau et fait soudainement apparaître des formes qui l'instant d'avant n'existaient pas.
Jankélévitch a tout à fait raison de souligner que la temporalité peut être mal vécue. Il existe des cas de phobie à l'égard du temps qui passe. Et des crises d'angoisse ! Mais ce qui dans Mrs Dalloway tourmente les êtres humains comme Septimus ou Peter ou même Clarissa n'est pas lié à la continuité ou à la discontinuité du temps comme dans le paradoxe de Zénon. C'est seulement la nécessité de la fin de toute chose qui apparaît comme une absurdité. Que le temps soit divisible lors de la course d'Achille ou qu'il ne le soit pas, l'idée du néant est effrayante en elle-même. Virginia Woolf rend même de manière remarquable la discontinuité du temps vécu en évoquant la façon dont les Londoniens observent tout à coup un avion faisant des figures dans le ciel. Le spectacle n'est en fait que l'addition de séquences autonomes qui n'ont d'unité que par leur mise en récit. Un moment l'avion n'est présent que par l'ouïe comme grondement annonciateur, puis il survient et il n'est plus présent que visuellement. L'un éclipse l'autre, « tandis qu'ils regardaient le monde entier fit silence ». De même avec l'irruption d'oiseaux, la sonnerie des cloches, événements inessentiels, ou bien encore la capacité à lire les traînées de fumigène, se produisent des ruptures, le temps est une succession de « voilà ». Tout à coup la fumée apparaît, puis elle disparaît quand une lettre apparaît : « C » puis « E » puis « L ». Et les lettres disparaissent dès qu'un mot se dévoile : « Blaxo », Kreemo » ou« Toffee ». Ainsi Woolf évoque la métastabilité de nos perceptions, le fait que le donné sensoriel est perçu avec des bifurcations, trouve une sorte d'équilibre passager, puis s'effondre afin d' une nouvelle forme.

L'éternité est le double du temps. Le temps est négation ; l'éternité est affirmation de l'être sans retrait. Les choses temporelles sortent du néant et retournent au néant ; les êtres éternels sont soustraits à la génération et à la corruption. Il semble toutefois qu'au cours de nos vies certains événements tranchent sur tout le reste et gagnent prodigieusement en force de telle sorte qu'on peut croire que l'éternité s'est dévoilée à un mortel ou qu'elle a été au moins entraperçue dans une sorte d'extase. Que penser de cette hypothèse ?
En évoquant la densité du moment présent ou « l'épaisseur » réjouissante du présent, Jankélévitch s'appuie sur une expérience que tout le monde a pu faire un jour. Le temps ordinairement fuyant semble parfois s'éterniser. Et c'est bien un des charmes de l'œuvre d'art que d'arriver à produire cette illusion d'une temporalité autonome, extatique. Mais l'explication de cette « grâce » pour reprendre le terme du premier chapitre de l'Essai, n'est pas surnaturelle. Ce n'est pas parce que la musique déroge aux lois du monde qu'elle nous emporte et nous fait oublier le passage du temps, c'est parce que l'auditeur portant son attention aux formes oublie pendant un moment de penser au reste de sa vie et à tout ce qui le préoccupe. La fluidité d'un air épouserait parfaitement la fluidité de la vie de la conscience. L'extase au sens fort du terme, comme expérience miraculeuse, n'est pas requise dans ce qui n'est à vrai dire qu'une impression extatique, particulièrement fragile.Une sorte d'hypnose ou de rêve éveillé dit Bergson. Et c'est dans le corps, par les sens, non par une sortie du corps et une élévation à l'intelligible que cet effet d'éternisation du présent se réalise.
L'éternité pour Nerval comme pour beaucoup de romantiques est une sorte d'illusion nécessaire. En se référant à des périodes glorieuses, à des vies devenues mythiques, à des vérités intemporelles, un esprit sensible peut s'opposer au caractère prosaïque de son époque et à la trivialité de sa propre existence. Dès le premier chapitre de Sylvie l'oncle épicurien du narrateur réalise ironiquement l'Aufhebung du temps peau-de-chagrin en faisant peindre des portrait de ses conquêtes successives puis en transformant ceux-ci en médaillons de blagues à tabac ! La beauté fuyante est d'abord éternisée, puis elle est recyclée pour ne pas être retirée de la vraie vie, celle où on boit, mange, fume... C'est ironiquement qu'il faut pareillement considérer les chefs d'œuvre immortels. Rousseau nous semble éternel, parce qu'il survit dans le souvenir du père Dodu et dans la Nouvelle Héloïse, et non parce que son génie l'a sauvé de le mort.
L'éternité pour Woolf et maints auteurs modernes est sans doute une illusion dangereuse dont il faut se prémunir. Ce qui est proprement humain comme l'amour n'est pas éternel et ne le sera jamais que dans les contes de fée ou dans les mythes. Le véritable amour d'ailleurs n'est pas la passion faussée par l'égocentrisme qui est dans le cœur d'une bigote comme miss Kilman, mais la tendresse que peut ressentir Clarissa Dalloway pour sa fille ou bien pour la vieille voisine de l'appartement d'en face. Il faut avoir l'esprit libre comme Clarissa pour réussir à saisir dans la solennité de l'instant vécu quelque chose comme une raison de vivre : une possibilité de contrer l'absurdité de la condition humaine pendue entre deux néants. « Toutes sortes de petites choses vinrent danser dans le sillage de ce coup solennel [de Big ben] qui venait de tomber, plat, comme un lingot d'or, sur la mer. » Ce qui s'abolit dans la plénitude de l'instant est la distinction du frivole et du sérieux, du minuscule et du grandiose. Mais le temps demeure pour toujours ce qui s'oppose à l'éternité, comme un sillage qui se reforme en permanence.


Au cœur de la réflexion de Jankélévitch sur le vieillissement, la citation que nous venons d'étudier et de critiquer se révèle très confuse. Il semble bien qu'elle fasse partie non d'une argumentation rigoureuse mais d'un mouvement de pensée rhapsodique, empruntant l'essentiel de ses thèses à la pensée bergsonienne de la durée. Le plus net est l'emploi du terme « grouillement » suggérant une sorte de fécondité mais dont l'emploi est douteux. Ce qui est éternel pour nous, comme Lucrèce le note dans son poème sur la nature, est l'instant en lui-même, puisque éternellement renouvelé. Mais dès lors qu'on parle des instants composant un moment, qu'on en fait des infinitésimaux pouvant s'additionner, on ne parle plus de ce maintien éternel de l'instant qui impressionne tant Clarissa Dalloway. On invente un instant doté d'épaisseur, sorte de monstre logique auquel on rattache un devenir substantiel, peut-être même providentiel, dont l'intuition seule pourrait capturer la vérité. Cette profondeur est sans doute illusoire. Lorsque le narrateur de Sylvie se rapporte à un temps imaginaire, le temps jadis qui maintient vivaces les coutumes et les rêves de l'enfance, il ne fait rien d'autre que d'inventer un temps poétique susceptible d'embellir le présent, pouvant le rendre plus intense, mais pas le sanctifier ni l'épaissir ! De même que l'incertitude des repères temporels, l'évanescence est au contraire une caractéristique fondamentale de cette temporalité créatrice mais profane.

Le temps des concours n'est pas aussi joyeux que le temps des cerises

La première phase des concours vient de se terminer. Les candidats ont composé pour les différents concours une épreuve de lettres-philosophie. Il fallait rédiger une dissertation pour Polytechnique ou bien le concours E3A, produire un résumé suivi d'une discussion pour Centrale ou CCP.

Les correcteurs sont sans doute déjà aux prises avec leur paquet de copies. Bon courage à eux. D'autant que le cru des copies 2014 risque d'être fameux.
Une rapide enquête après épreuve auprès de quelques étudiants de mes classes m'a alarmé. Sans exagérer, elle a globalement donné comme résultat un état d'esprit désabusé, s'exprimant par des réflexions lapidaires comme « dommage que les sujets étaient incompréhensibles », « je sais pas du tout quoi penser » ou encore « on a été verni ».

Ont-ils effectivement été vernis ? L'UPLS mets rapidement en ligne les sujets de lettres-philosophie. Quatorze sont téléchargeables. Il est donc possible de vérifier.

Les candidats savent qu'ils peuvent s'attendre à un peu n'importe quoi. Et c'est très bien, puisque cette part de hasard correspond à l'exigence d'égalité devant le concours : nul ne sait a priori à quoi s'attendre. Une épreuve peut avoir pour support la réflexion d'un critique d'art contemporain ou qu'un spécialiste de Proust, d'un philosophe spiritualiste ou d'un physicien.
Les étudiants à la solide culture générale peuvent se démarquer du lot. Découvrant parfois pour la première fois un auteur au style très particulier ou une manière non conventionnelle de formuler ses idées, le candidat doit faire preuve d'une bonne faculté d'adaptation.

Par exemple le sujet du concours de la banque commune Polytechnique inter-ENS pour la série PSI est une citation du philosophe Alain qui peut désarçonner son lecteur à la première lecture.

Mais, le moins qu'on puisse dire c'est que certaines épreuves montrent un désir très prononcé d'élever le niveau de réflexion bien au-dessus des pâquerettes. Jusque dans les cieux !
Rien de mieux en effet que des textes parlant sans les définir de « surconscience », d' « Adagio vécu » ou de « stage vital », que des citations parfois tronquées évoquant une énigmatique « heure totale », un bien curieux « passage des autres en soi », un étrange déploiement « des dimensions empiriques du temps » dans le « temps perdu », pour pousser les étudiants dans leurs retranchements et leur faire produire le meilleur d 'eux-mêmes !
Notons au passage qu'un sujet proposé aux étudiants de MP et PC est carrément hors programme ! Il s'agit cette fois du concours Polytechnique inter-ENS. Le concepteur du sujet a sans doute été étourdi puisqu'il a oublié dans un moment d'égarement que c'était la question originale du « temps vécu » qui était cette année au programme. Il a proposé aux candidats une réflexion portant sur le temps en général, la métaphysique du temps, et pas du tout le temps vécu... Avec une très belle réflexion de Bachelard tirée de L'Intuition de l'instant :
« Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants ».
Certes tout sujet sur la réalité du temps peut être rattaché au thème du temps vécu. Mais tout sujet sur l'espace aussi ou sur la conscience, etc. Dommage qu'il ne soit pas écrit en en-tête de ce sujet la nota bene du concours CCP : « Si un candidat est amené à repérer ce qui peut lui sembler être une erreur d'énoncé, il le signalera sur sa copie (...) ». 

Certains sujets pas du tout hors programme pour leur part sont à la fois admirables et d'une audace réjouissante. Pour faire le parallèle avec le Festival de Cannes qui se déroule en ce moment je remets donc quelques palmes :

Palme d'or de la citation alambiquée au concours de la banque agro-véto (qui est vraiment le plus beau de tous), obtenue pour ses deux question de vocabulaire :
Expliquez : « la subtilité du pouvoir passe par la dysrythmie » - la citation de Barthes est alors coupée, avec la soustraction de la suite après une virgule, à savoir : « de l'hétérorythmie »... dommage, c'était encore mieux avec les deux néologismes), ainsi que « la ponctuation affective des milieux de vie et des façons de se regrouper dans ces milieux ».

Palme d'or de la comparaison incompréhensible au concours de l'Ecole des Mines, Telecom INT, TPE-EIVP pour la fin de sa belle citation de Georges Didi-Huberman :
« Il n'y a dans l'anachronisme du temps psychique, ni début, ni suite ni fin. Ce n'est pas exactement une histoire. Cela ne se raconte pas, mais s'éprouve en blocs d'intensité, en sites mémorables, en nœuds de force. »

Palme d'or de la rhapsodie au concours Centrale-Supélec à la fois pour son texte de Jankélévitch tiré de La Mort et son sujet de dissertation :
« Une conscience intérieure à elle-même trouve en quelque sorte le présent éternel dans le grouillement des instants innombrables et infinitésimaux qui composent un devenir continu ».

Palme d'or du sujet proposé par l'école qui adore l'être en soi et le beau mot de « principe » au concours de l'Ecole Normale Supérieure et de l'Ecole Nationale des Ponts et chaussées de la filière BCPST :
« La réminiscence nous livre le passé pur, l'être en soi du passé. Sans doute cet être en soi dépasse-t-il toutes les dimensions empiriques du temps. Mais dans sont ambiguïté même, il est le principe à partir duquel ces dimensions se déploient dans le temps perdu, autant que le principe dans lequel on peut retrouver ce temps perdu lui-même, le centre autour duquel on peut l'enrouler de nouveau pour avoir une image de l'éternité ». Gilles Deleuze.

Bravo à tous ces concepteurs de sujets imaginatifs qui produisent de véritables perles de beauté et de subtilité. Et vivement l'année prochaine qu'on tourne la page du temps vécu et de tout le baratin que la notion suscite chez les élégants et très raffinés grands penseurs de notre temps. Des vrilles de parfums anachroniques, des torrents de nectars d'éternité, des blocs inénarrables chus ici-bas, des cascades de rythmes primitifs endiablés, des dissolutions du temps incorporé dans la fatrasie, des productions angoissées d'éléatisme à rebours, des principes de la réalité suspendus dans le rien qui nihilise le néant... tout cela sera vite oublié.
Et peut-être que l'année prochaine les candidats travailleurs venant de milieux défavorisés dépourvus de certains codes de reconnaissance auront autant de chances que les autres.

P.S. Dire qu'en revanche des écoles moins ont donné des sujets tirés de réflexions d'Etienne Klein... ce n'est pas elles qui auront la palme du sujet inattendu et déroutant ! On a même vu un concours déterrer une citation d'Alain, un has been s'il en est ! Comment est-ce possible ?

Résumé d'un texte de Sénèque

L’usage de tout système électronique ou informatique est interdit dans cette épreuve.

Présenter sur la copie en premier lieu le résumé de texte et en second lieu les réponses aux questions.
Il est tenu compte, dans la notation, de la présentation, de la correction de la forme (syntaxe, orthographe), de la netteté de l’expression et de la clarté de la composition.
Résumé et réponses aux questions ont la même notation et forment un ensemble indissociable.

Partie I - Résumé de texte
Résumez en 200 mots le texte suivant. Un écart de 10 % en plus ou en moins sera toléré. Vous indiquerez avec précision, en marge de chaque ligne, le nombre de mots qu’elle comporte et, à la fin du résumé, le total.
Ceux-là seuls jouissent du repos, qui se consacrent à l'étude de la sagesse. Seuls ils vivent ; car non seulement ils mettent à profit leur existence, mais ils y ajoutent celle de toutes les générations. Toutes les années qui ont précédé leur naissance leur sont acquises. À moins d'être tout à fait ingrats, nous ne pouvons nier que les illustres fondateurs de ces opinions sublimes ne soient nés pour nous, et ne nous aient préparé la vie. Ces admirables connaissances qu'ils ont tirées des ténèbres et mises au grand jour, c'est grâce à leurs travaux que nous y sommes initiés. Aucun siècle ne nous est interdit : tous nous sont ouverts ; et si la grandeur de notre esprit nous porte à sortir des entraves de la faiblesse humaine, grand est l'espace de temps que nous pouvons parcourir.
Je puis discuter avec Socrate, douter avec Carnéade, jouir du repos avec Épicure ; avec les stoïciens, vaincre la nature humaine ; avec les cyniques, dépasser sa portée ; enfin, marcher d'un pas égal avec la nature elle-même, être contemporain de tous les siècles. Pourquoi, de cet intervalle de temps si court, si incertain, ne m'élancerais-je pas vers ces espaces immenses, éternels, qui me mettraient en communauté avec les meilleurs des hommes ?
Les insensés, qui sans cesse en démarche pour rendre de vains devoirs, tourmentants pour eux et pour les autres, se seront livrés tout à leur aise à leur manie, auront été frapper chaque jour à toutes les portes, n'auront passé outre devant aucune de celles qu'ils auront trouvées ouvertes, et auront colporté dans toutes les maisons leurs hommages intéressés, combien de personnes auront-ils pu voir dans cette ville immense et agitée de tant de passions diverses ?
Combien de grands dont le sommeil, les débauches ou la dureté les auront éconduits ? Combien, après les ennuis d'une longue attente, leur échapperont en feignant une affaire pressante ? Combien d'autres, évitant de paraître dans le vestibule rempli de clients, s'échapperont par quelque issue secrète, comme s'il n'était pas plus dur de tromper que de refuser sa porte ! Combien à moitié endormis et la tête encore lourde des excès de la veille, entrouvriront à peine les lèvres pour balbutier, avec un bâillement dédaigneux, le nom mille fois annoncé de ces infortunés, qui ont hâté leur réveil pour attendre celui des autres !
Ceux-là, nous pouvons le dire, s'attachent à leurs véritables devoirs, qui tous les jours ont avec les Zénon, les Pythagore, les Démocrite, les Aristote, les Théophraste, et les autres précepteurs de la morale et de la science, des relations intimes et familières. Aucun de ces sages qui n'ait le loisir de les recevoir ; aucun qui ne renvoie ceux qui sont venus à lui, plus heureux et plus affectionnés à sa personne ; aucun qui souffre que vous sortiez d'auprès de lui les mains vides. Nuit et jour leur accès est ouvert à tous les mortels.
Nul d'entre eux ne vous forcera de mourir, tous vous apprendront à quitter la vie ; aucun ne vous fera perdre vos années, chacun y ajoutera les siennes ; nul ne vous compromettra par ses discours ; nul n'exposera vos jours par son amitié, et ne vous fera chèrement acheter sa faveur. Vous retirerez d'eux tout ce que vous voudrez ; et il ne tiendra pas à eux que, plus vous aurez puisé à cette source abondante, plus vous y puisiez de nouveau.
Quelle félicité, quelle belle vieillesse sont réservées à celui qui s'est mis sous leur patronage ! il aura des amis avec lesquels il pourra délibérer sur les plus grandes comme sur les plus petites affaires, recevoir tous les jours des conseils, entendre la vérité sans injure, la louange sans flatterie, et les prendre pour modèles.
On dit souvent qu'il n'a pas été en notre pouvoir de choisir nos parents ; que le sort nous les a donnés. Il est pourtant une naissance qui dépend de nous. Il existe plusieurs familles d'illustres génies ; choisissez celle où vous désirez être admis, vous y serez adopté, non seulement pour en prendre le nom, mais les biens, et vous ne serez point tenu de les conserver en homme avare et sordide ; ils s'augmenteront au fur et à mesure que vous en ferez part à plus de monde.
Ces grands hommes vous ouvriront le chemin de l'éternité, et vous élèveront à une hauteur d'où personne ne pourra vous faire tomber. Tel est le seul moyen d'étendre une vie mortelle, et même de la changer en immortalité. Les honneurs, les monuments, tout ce que l'ambition obtient par des décrets, tous les trophées qu'elle peut élever, s'écroulent promptement : le temps ruine tout, et renverse en un moment ce qu'il a consacré. Mais la sagesse est au-dessus de ses atteintes. Aucun siècle ne pourra ni la détruire, ni l'altérer. L'âge suivant et ceux qui lui succéderont, ne feront qu'ajouter à la vénération qu'elle inspire ; car l'envie s'attache à ce qui est proche, et plus volontiers l'on admire ce qui est éloigné.
La vie du sage est donc très étendue ; elle n'est pas renfermée dans les bornes assignées au reste des mortels. Seul il est affranchi des lois du genre humain : tous les siècles lui sont soumis comme à Dieu : le temps passé, il en reste maître par le souvenir ; le présent, il en use ; l'avenir, il en jouit d'avance. Il se compose une longue vie par la réunion de tous les temps en un seul.
Mais combien est courte et agitée la vie de ceux qui oublient le passé, négligent le présent, craignent pour l'avenir ! Arrivés au dernier moment, les malheureux comprennent trop tard qu'ils ont été si longtemps occupés à ne rien faire.
Et, de ce qu'ils invoquent quelquefois la mort, n'allez pas en conclure que leur vie soit longue : leur folie les agite de passions désordonnées qui les précipitent même vers ce qu'ils craignent ; aussi ne désirent-ils souvent la mort que parce qu'ils la redoutent.
Ne regardez pas non plus comme une preuve qu'ils vivent longtemps, si le jour, souvent, leur paraît long, et qu'en attendant le moment fixé pour leur souper, ils se plaignent que les heures s'écoulent avec lenteur ; car si quelquefois leurs occupations les quittent, ils sont tout accablés du loisir qu'elles leur laissent ; ils ne savent ni comment en faire usage, ni comment s'en débarrasser : aussi cherchent-ils une occupation quelconque : et tout le temps intermédiaire devient un fardeau pour eux. Cela certes est si vrai, que, si un jour a été indiqué pour un combat de gladiateurs, ou si l'époque de tout autre spectacle ou divertissement est attendue, ils voudraient franchir tous les jours d'intervalle.
Tout retardement à l'objet qu'ils désirent leur semble long. Mais le moment après lequel ils soupirent est court et fugitif, et devient encore plus rapide par leur faute ; car d'un objet ils passent à un autre, et aucune passion ne peut seule les captiver. Pour eux les jours ne sont pas longs mais insupportables. Combien, au contraire, leur paraissent courtes les nuits qu'ils passent dans les bras des prostituées et dans les orgies !
Aussi les poètes, dont le délire entretient par des fictions les égarements des hommes, ont-ils feint que Jupiter, enivré des délices d'une nuit adultère, en doubla la durée. N'est-ce pas exciter nos vices que de les attribuer aux dieux, et de donner pour excuse à la licence de nos passions les excès de la Divinité ? Pourraient-elles ne leur point paraître courtes, ces nuits qu'ils achètent si cher ? Ils perdent le jour dans l'attente de la nuit, et la nuit dans la crainte du jour.
Leurs plaisirs mêmes sont agités ; ils sont en proie à mille terreurs ; et au sein de leurs jouissances cette pensée importune se présente à leur esprit : "Combien ce bonheur doit-il durer ?" triste réflexion qui a souvent fait gémir sur leur puissance les rois, moins satisfaits de leur grandeur présente qu'effrayés de l'idée de son terme.
Mais que dis-je ? leurs joies mêmes sont inquiètes ; car elles ne reposent pas sur des fondements solides : la même vanité qui les fait naître, les trouble. Que doivent être, pensez-vous, les moments de leur vie, qui, de leur aveu même, sont malheureux, si ceux dont ils s'enorgueillissent et qui semblent les élever au-dessus de l'humanité, sont loin de leur offrir un bonheur sans mélange ?
Sénèque De la brièveté de la vie
Partie II. Questions

Vous répondrez à chacune des questions en un paragraphe d'une dizaine de lignes maximum.

1. Justifiez le jugement de Sénèque, « Ces grands hommes vous ouvriront le chemin de l'éternité ».
2. Que veut dire l'auteur lorsqu'il affirme «  leurs joies mêmes sont inquiètes ; car elles ne reposent pas sur des fondements solides : la même vanité qui les fait naître, les trouble ».

Proposition de résumé

Studieuse, apaisée, la vie bonne recueille le legs des générations antérieures dont les sages demeurent pour moi toujours disponibles pour un dialogue.
Au contraire l'agitation fiévreuse des foules est gage d'isolement. Puissants et valets s'obligent, se jalousent, se méprisent perpétuellement ; ils dilapident leurs heures en vains cérémoniels. / Ils ne cultivent aucune amitié spirituelle, seule capable de nous apprendre à mourir et à vieillir en jouissant d'une belle existence, autonome et généreuse.
Le bonheur suppose la fréquentation des philosophes offrant gratuitement leurs lumières et nous incitant bientôt à reprendre le flambeau !
Humbles, conscients de la vanité des // gloires terrestres, vous résisterez au temps. Divine est en effet la vie qui garde en mémoire les biens passés, résiste aux désirs fuyants, s'accomplit dans le présent.
Mais la vie devient misérable pour les insensés que la mort angoisse et fascine. Et le temps s'accélère à mesure qu'il se /// perd. Les divertissements communs comme les plus vifs ou rares ne satisfont guère les oisifs qui s'ennuient parfois jusqu'au désespoir, ni les jouisseurs qui souffrent d'impatience compulsive, redoutent la fin précoce et inéluctable de leurs plaisirs éphémères.
Qui arrivera donc à dire combien l'inquiétude / ruine le bonheur et décuple les maux ?


208 mots

Résumé d'un texte de Marcel Conche

Résumé de texte

Résumez en 180 mots le texte suivant de Marcel Conche, extrait de « Temps, temporalité, temporalisation » (2009). Un écart de 10 % en plus ou en moins sera toléré. Vous indiquerez avec précision les groupements de 50 mots par un signe (/) et, à la fin du résumé, le total.

La temporalisation n’est que la temporalité dans la forme concrète et individualisée qu’elle prend chez chaque être humain en fonction d’abord de la façon dont il entend mettre en pratique les exigences de la morale, en soi universelle, ensuite de son éthique personnelle, c’est-à-dire de son choix de vie.
L’homme ne peut vivre dans le Temps immense de la Nature, car il lui faut croire être, et il ne peut vivre dans ce qui fait de lui un presque rien, un « éclair » dans le temps infini. Il lui faut finitiser le temps, se donner un temps à l’échelle humaine. Il lui faut penser que vivre cent ans, c’est avoir une longue vie, alors que cent ans, qu’est-ce que c’est dans l’infini ? L’homme se donne le temps qu’il lui faut pour pouvoir croire que cela vaut la peine de vivre et d’agir. Aussitôt réveillé le matin, je me donne un certain empan1 temporel, une certaine longueur de temps, celle qu’il me faut pour avoir l’élan qui me permettra de déployer mon activité – car même si je ne suis pas un homme d’action, j’ai une activité. Le Temps « enfante à l’infini des nuits et des jours », dit Sophocle (OEdipe à Colone, 617-618). Dans le Temps aux jours innombrables, je délimite une portion et je vis dans un temps réduit, rétréci, où je suis moi-même et où j’ai affaire à des êtres.
L’empan temporel que l’on se donne est variable, selon que l’on se propose de faire de petites choses, de grandes choses, ou pas grand-chose ou de simplement vivre. Il est variable aussi selon que l’on est dans la jeunesse ou que la jeunesse est passée. Dans la jeunesse, on ne fait sans doute pas de projet qui impliquerait que l’on vive mille ans. Cependant, généralement, on ne songe pas à la mort. Mais à un certain moment de la vie, l’on a un point d’inflexion ou de basculement, où les projets prennent forme non plus sous l’horizon de la vie à son acmé (akmè, « sommet »), mais sous l’horizon de la mort. L’homme temporalise le temps sur le fond de sa finitude, car il vit sa vie en fonction de sa non-vie. La vie est finie pour l’animal aussi, mais les animaux ne le savent pas. La finité de leur vie n’est pas finitude.
Les façons dont les humains temporalisent, c’est-à-dire s’approprient le temps, sont variables, disais-je, selon les éthiques, c’est-à-dire selon les diverses façons qu’ont les hommes de donner du sens à leur vie (la morale elle-même, qui ne définit qu’un minimum, n’ayant rien à voir avec le sens de la vie). Les uns se contentent du bonheur, et ils l’ont facilement sans philosophie pour peu qu’ils rencontrent l’amour. D’autres veulent la gloire, comme Achille, ou le pouvoir, comme la Cléopâtre de Corneille, d’autres les honneurs, d’autres l’argent, comme les financiers, capitalistes, hommes d’affaires, banquiers en général, d’autres la vérité scientifique, comme Pasteur, ou la vérité philosophique, comme Platon, ou embellir le monde, comme les poètes. Chacun a sa façon propre de se donner du temps, de s’approprier le Temps.
Intéressons-nous particulièrement aux philosophes. Les grandes philosophies nous offrent diverses possibilités de comprendre le monde, sans que la raison, à elle seule, puisse choisir entre elles. Or, elles nous offrent non seulement diverses possibilités théoriques, mais aussi diverses possibilités de vie. Les philosophes, en fonction de leurs philosophies très différentes, vivent de façons très différentes le temps de leur vie. Du moins en est-il ainsi chez les Grecs. Car les philosophies théologisées de l’époque moderne, étant l’œuvre de chrétiens, ne peuvent proposer d’autres manières de vivre que de vivre en chrétiens – selon les vertus chrétiennes, avec un zeste de stoïcisme parfois. Descartes, Malebranche, Leibniz, Berkeley, Thomas Reid, Kant, Hegel, n’ont pas des manières de vivre très différentes, si ce n’est que Malebranche, Oratorien, et l’évêque Berkeley consacrent davantage de temps à la prière.
En Grèce, au contraire, selon que l’on est disciple de Pythagore, ou de Platon, ou de Diogène, ou de Zénon, ou d’Aristippe, ou d’Épicure, ou de Pyrrhon, etc., on vit autrement. Si l’on est disciple de Pythagore, on ne s’enivre pas, on mange frugalement, surtout des légumes, jamais de viande, rarement du poisson, jamais du rouget ou du poisson à queue noire, jamais de fèves, on a pour idéal l’abstinence sexuelle ; on n’a pas de biens propres, car on admet, entre amis, la communauté des biens. À la fin du jour, on doit faire un examen de conscience : « Ai-je commis des fautes ? Qu’ai-je fait que je n’aurais pas dû faire ? Que n’ai-je pas fait que j’aurais dû faire ? » Diogène et Épicure sont d’accord avec la frugalité dans le boire et le manger et l’abstinence
sexuelle comme idéal, mais Diogène vit seul, tandis qu’Épicure vit avec ses amis une vie philosophique. Aristippe, lui, pense qu’il faut jouir de tout tant qu’on le peut sans nuire à sa santé. Il mène grand train de vie, a une table somptueuse ; il habite avec une courtisane, considérant qu’il n’y a pas de différence entre prendre une maison qui a déjà été habitée par beaucoup et une qui ne l’a été par personne.
Dans l’Académie de Platon, on travaille énormément, avec un emploi du temps strict : on étudie la musique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la stéréométrie, toutes sciences propres à former le philosophe ; on se passionne pour les irrationnelles et le problème de la duplication du cube. Mais objecte Épicure, nous pouvons mourir avant même de savoir la stéréométrie : « Fuis à voile déployée toute paideia », conseille-t-il (Diogène Laërce, X, 6) : la vie est brève et l’on ne vit qu’une fois ; alors ne te mets pas à l’étude des mathématiques, mets-toi au bonheur. Pyrrhon est d’accord avec Épicure : avant tout, le bonheur. Mais alors qu’Épicure juge la philosophie théorique nécessaire pour nous faire connaître la vérité et ainsi détruire les idées fausses qui font obstacle au bonheur, Pyrrhon préconise l’indifférence comme moyen du bonheur. Car rien n’est plutôt ainsi qu’ainsi ou que ni l’un ni l’autre : plutôt juste qu’injuste ou que ni juste ni injuste, plutôt beau que laid ou que ni beau ni laid, etc. Pyrrhon donne force leçons d’indifférence. Par exemple, un jour qu’Anaxarque, son disciple, était tombé dans un marécage, il continua son chemin sans lui prêter main-forte, ce qu’Anaxarque lui-même jugea admirable. Zénon parlait en allant et venant devant le portique (stoa) – la galerie à colonnades des peintres. Ceux qui venaient écouter Zénon furent appelés « Ceux du Portique », c’est-à-dire Stoïciens. Pour qu’ils ne soient pas trop nombreux, Zénon les faisait payer. Il passait pour enseigner la vertu aux jeunes gens, et on lui éleva une statue. Je pourrais parler d’Héraclite qui s’isolait de ses contemporains, de Xénophane qui récitait et chantait ses propres poèmes en Grèce et en Grande-Grèce (Sicile), de Stilpon qui, ayant perdu ses enfants, sa femme et ses biens du fait de la guerre de Démétrios, disait qu’il n’avait rien perdu « du sien », puisqu’il avait toujours sa raison et son savoir. Il y aurait à faire une différence entre les philosophes qui écrivent, et même abondamment comme Chrysippe, et ceux qui n’ont rien écrit, comme Socrate qui ne faisait rien que de chercher à ramener les Athéniens à la raison, et Pyrrhon qui portait des poulets à vendre au marché, ou de petits cochons, et, à la maison, faisait le ménage avec indifférence. Les religions – chrétienne, islamique, bouddhiste, comtiste, etc. – uniformisent l’homme et règlent son temps de vie. Le croyant n’est pas libre de s’approprier le temps comme il lui plaît : ce sont certains jours, certaines heures, certaines dates, certaines durées qui conviennent pour les offices, les prières, les célébrations, les fêtes. En Grèce, il en allait de même avec la religion civique. Mais la religion grecque excluait toute police de la pensée. Elle était sans dogme, les prêtres n’avaient aucune doctrine et ne propageaient, dans la plupart des cas, aucune sorte d’enseignement. Leur rôle n’était que d’accomplir les actes du culte de la cité. On fit boire la ciguë à Socrate non parce qu’il ne croyait pas aux dieux d’Homère, mais parce qu’il mettait en péril, croyait-on, les cultes de la cité. Puisque la religion n’imposait aucune Vérité, la pensée s’est trouvée sans entraves. Ce fut l’époque – la seule dans l’histoire du monde – de la libre pensée. Des philosophies très différentes virent le jour, explorant tous les champs possibles de la pensée rationnelle ; et ces philosophies s’incarnèrent dans des types d’hommes et des personnalités très différentes. Un philosophe grec est une philosophie en acte. Il signifie par lui-même une manière singulière de vivre une vie et d’employer le temps de sa vie – « singulière », c’est-à-dire libérée du collectif, ouverte à l’universel. Un philosophe grec ne sépare pas sa pensée de sa vie, sa vie de sa pensée. C’est un existant. Aussi est-il très important de savoir comment ont vécu les Platon, les Zénon., les Épicure, etc. Le seul moderne qui leur soit comparable est Montaigne.

Note : 1. L’empan est une ancienne mesure de longueur.


Proposition de résumé

Transformant le temps en vécu, la temporalisation suppose une morale, un engagement personnel.
La disproportion absolue de l'univers et de l'humain est effrayante. Elle suscite le mirage d'une durée disponible : chacun réduit le temps à sa mesure, fixe quotidiennement un horizon temporel où déployer son activité. Certes, /une telle perception est relative. Au pic de sa vie le sujet découvre une limite auparavant ignorée, sa mort, et modifie ses projets en conséquence.
Cette variabilité dépend fondamentalement de décisions éthiques. Une différence d'ambition, le choix de vivre pour le bonheur ou la gloire, la vérité ou la /beauté, impliquent une temporalité spécifique.
La diversité des vies philosophiques, défendant un modèle de vie réussie, illustre parfaitement les multiples possibilités de temporalisation. Malgré l'homogénéité de la compréhension du monde diffusée par le christianisme, la pluralité des représentations apparaît comme un fait irréductible. Il en découle une disparité /des modèles, ascétiques ou hédonistes, différant les plaisirs ou soulignant leur urgence. Par delà les polémiques se forge ainsi un idéal de vie singulière, rationnelle ou réfléchie, dialogique et questionnante, volontiers sceptique, opérant l'adéquation entre une existence et une pensée.


Total des mots utilisés : 191 mots

Conclusion

Comment lire les textes de Bergson où il parle du temps ? Faut-il le faire en identifiant ou non la durée pure et le temps vécu ? Certains n'ont pas pris le temps de poser la question. C'est sans doute une faute. La réponse va-t-elle de soi ? Rien n'est moins sûr.

Lisons un extrait de La Pensée et le mouvant (1938) "La perception du changement" où Bergson met en rapport la personnalité (le moi) et la durée pure (ici qualifiée de "vraie"), la vie de l'esprit et le temps et opère le dépassement du dualisme qu'il affectionne (fausse opposition du moi-substance Un et des états de conscience accidentels, multiples, qui se succéderaient en nous) :
"Les difficultés et contradictions de tout genre auxquelles ont abouti les théories de la personnalité viennent de ce qu'on s'est représenté, d'une part, une série d'états psychologiques distincts, chacun invariable, qui produiraient les variations du moi par leur succession même, et d'autre part un moi, non moins invariable, qui leur servirait de support. Comment cette unité et cette multiplicité pourraient-elles se rejoindre ? comment, ne durant ni l'une ni l'autre - la première parce que le changement est quelque chose qui s'y surajoute, la seconde parce qu'elle est faite d'éléments qui ne changent pas - pourraient-elles constituer un moi qui dure ? Mais la vérité est qu'il n'y a ni un substratum rigide immuable ni des états distincts qui y passent comme des acteurs sur une scène. Il y a simplement la mélodie continue de notre vie intérieure, - mélodie qui se poursuit et se poursuivra, indivisible, du commencement à la fin de notre existence consciente. Notre personnalité est cela même.
C'est justement cette continuité indivisible de changement qui constitue la durée vraie. Je ne puis entrer ici dans l'examen approfondi d'une question que j'ai traitée ailleurs. Je me bornerai donc à dire, pour répondre à ceux qui voient dans cette durée « réelle » je ne sais quoi d'ineffable et de mystérieux, qu'elle est la chose la plus claire du monde : la durée réelle est ce que l'on a toujours appelé le temps, mais le temps perçu comme indivisible. Que le temps implique la succession, je n'en disconviens pas. Mais que la succession se présente d'abord à notre conscience comme la distinction d'un « avant » et d'un « après » juxtaposés, c'est ce que je ne saurais accorder. Quand nous écoutons une mélodie, nous avons la plus pure impression de succession que nous puissions avoir, - une impression aussi éloignée que possible de celle de la simultanéité, - et pourtant c'est la continuité même de la mélodie et l'impossibilité de la décomposer qui font sur nous cette impression. Si nous la découpons en notes distinctes, en autant d' « avant » et d' « après » qu'il nous plaît, c'est que nous y mêlons des images spatiales et que nous imprégnons la succession de simultanéité : dans l'espace, et dans l'espace seulement, il y a distinction nette de parties extérieures les unes aux autres. Je reconnais d'ailleurs que c'est dans le temps spatialisé que nous nous plaçons d'ordinaire. Nous n'avons aucun intérêt à écouter le bourdonnement ininterrompu de la vie profonde. Et pourtant la durée réelle est là. C'est grâce à elle que prennent place dans un seul et même temps les changements plus ou moins longs auxquels nous assistons en nous et dans le monde extérieur."
Notre philosophe qualifie la durée pure de vraie, ce faisant il ne se contente pas de dire qu'elle est réelle, universelle, car il ajoute à son propos une valorisation. Celle-ci est amenée par la comparaison avec la mélodie, "une mélodie continue de notre vie intérieure" 1er §, la durée pure devenant une affaire d'esthète, puis par l'identification de cette durée au "bourdonnement ininterrompu de la vie profonde" 2nd §. Il y a de la noblesse à reconnaître en soi ce timbre, comme il y a de la grandeur d'âme en Socrate, quand il se révèle capable de se mettre à l'écoute de son daïmon !
La vie profonde, profondément vivante, réellement vivante, se déroule en nous comme une petite musique, continue (indivisible) et hétérogène (variable, changeante).
Mais est-ce donc que la durée pure est le temps ? Non, le dire serait excessif. C'est une modalité du temps, concurrencée en permanence par une autre modalité, celle de la fausse durée, du "temps spatialisé". Estce que la durée pure à défaut d'être le temps serait au moins le temps vécu ? Non, pas davantage. La durée pure est le temps vécu d'une certaine manière. Chez une personne qui fait un effort singulier pour retirer de sa vie, abstraire de sa conscience, quelque chose, l'ensemble des soucis pratiques, tout ce qui peut attirer son attention à l'extérieur de lui-même, dans le monde !
Quand Bergson écrit "Je reconnais d'ailleurs que c'est dans le temps spatialisé que nous nous plaçons d'ordinaire" il faut accepter cette reconnaissance. C'est dans le temps spatialisé que nous passons le plus clair de notre temps. Le temps vécu est ordinairement le temps spatialisé de l'ouverture au monde, de la durée mesurable, et exceptionnellement le temps mélodique du repli sur soi, de la durée réelle et indistincte.

Reprenons l'expérience de pensée de Schumann : « Si tous les mouvements de l'univers étaient uniformément accélérés, bien mieux : si, à la limite, une rapidité infinie resserrait le successif dans l'instantané, aucune formule scientifique ne serait modifiée. Cette situation fictive fait bien sentir que le temps de la science n'est pas celui de l'existence. Qu'est-ce donc alors que ce temps de l'existence auquel le bergsonisme affectera le mot durée? C'est le temps vécu et, comme tel, donné là où il est vécu, dans la conscience."
La science n'aurait pas de possibilité de mesurer autre chose que de l'espace. Il faudrait introduire en elle de la durée pour qu'elle puisse déterminer que des mouvements prennent du temps, que des changements s'effectuent à une vitesse particulière.
La conclusion forte, qui revient à affirmer que toute physique a aujourd'hui besoin d'une métaphysique pour avoir une certaine vérité repose en fait sur une argumentation faible. D'une part l'expérience de pensée est absurde. Un mouvement est accéléré par rapport à quelque chose qui ne l'est pas. Si tout est accéléré, c'est comme si rien ne l'est. Un monde où tout passerait deux fois plus vite est indiscernable par rapport à notre monde. L'idée de rapidité infinie terminant la vie de l'univers en un éclair, invoquée par l'auteur à la suite du mouvement universellement accéléré, n'est sans doute qu'une idée inconsistante, vide de sens. Et ce n'est pas tout. S'il faut se référer à la durée, il s'agit comme nous venons de le lire, non du « temps de l'existence » mais du temps de la mélodie intérieure, oblitérant la vie pratique, tout théâtre de l'existence et tout rôle à jouer sur scène.
La dernière phrase est péremptoire. Elle fait du temps vécu une sorte de miracle, donnée, à une sorte de principe, la conscience comme mystérieuse entité substantielle !
Un site à découvrir

VIII Le rythme

« Il nous semble impossible qu'on ne reconnaisse pas la nécessité de fonder la vie complexe sur une pluralité de durées qui n'ont ni le même rythme, ni la même solidité d'enchaînement, ni la même puissance de continu. » Gaston Bachelard, La dialectique de la durée (1950)

Le rythme ? Une constellation de termes : rythme, arythmie, synchronie, mètre, mesure, harmonie, disharmonie, cadence, tempo, syncope, battement, pulsation, etc.
Le flux avec des tourbillons qui se font et se défont. Le rythme d'un petit ruisseau, d'une feuille emportée... d'une âme elle aussi emportée !
Pour clarifier nos idées, procédons en multipliant les exemples. Et suivons un guide, spécialiste de la notion, Pierre Sauvanet, auteur de Le Rythme et la Raison, Paris, Kimé, 2000, 2 vol.
Avec Sauvanet, il s'agira en effet de tenter une approche philosophique du rythme ou plutôt des « phénomènes rythmiques ». Car « le rythme ainsi défini n’est pas un objet : il reste un phénomène vivant, dont la raison peut seulement tenter de rendre raison. ».
Il existe des phénomènes rythmiques de tout type, de toute provenance... acoustiques et visuels ! Musicaux et muets ! Non seulement esthétiques (poésie, musique, arts plastiques...), mais également « anthropologiques, biologiques, voire cosmologiques... », pour penser au besoin un rythme de la vie en société, du corps voire de l'Univers !

Ecoute de la musique de Steve Reich. "Nagoya Marimbas"
https://www.youtube.com/watch?v=egwXKQDYcvc&feature=kp

Observation de "En rythme" de Paul Klee (1930)

La danse, la course, la marche... Avec son tempo propre à chaque époque, à chaque milieu social (Marcel Mauss). La marche militaire ! Gene Kelly, « I've got Rythm ».
Le souffle, la voix, la parole ! Le chant, bien sûr. La musique avec la mélodie et l'harmonie. Une puissance, dynamisant nos émotions.

Le rythme d'un vers :
« C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime »
1er vers régulier ; 2nd vers syncopé, avec rime interne. L'alexandrin est une belle structure (un schéma de versification), mais en lui-même il n'est pas le rythme. Il faut quelque chose de plus, quelque chose d'autre, Ce qui précisément le rend mobile. Le temporalise !
La versification, c'est un atelier perpétuel. Invention de la métrique impaire avec Verlaine. Invention du vers libre... Toujours des sortes d'équilibres, mais instables.
Le rythme aime la métastabilité, les états de confusion, de superposition d'états ! La possibilité de concilier les contraires, le même et l'autre !

Des rythmes, très différents, d'un point de vue phénoménal. Une grande difficulté à saisir le sens du mot, qui tient au fait que le terme a toujours eu des sens très nombreux, oscillant d'une idée mécanique, soulignant l'existence d'un phénomène de répétition, à une notion beaucoup plus libre du mouvement, associant le rythme à l'idée de la variété et de la variation. Changements de direction, d'intensité, de formes...
Le rythme est toujours un effet direct du mouvement ou plutôt d'une succession de sensations mobiles, se maintenant (pour une conscience douée d'ipséité) et changeant néanmoins (sacrifiant sa mêmeté).
Le rythme est d'une certaine manière la vie (das leben) du mouvement, d'une autre manière un vécu (das erleben) : le mouvement vécu comme vivant.

Le site Rhuthmos, défendant un « nouveau paradigme scientifique fondé sur le concept de rythme redéfini comme « manière de flue». »
Il n'y a pas d'essence du rythme mais des caractéristiques portées par les phénomènes rythmiques. Dans toute épreuve du rythme je découvre par mes sens quelque chose de « formel, cyclique et dynamique ». Le rythme se compose ou compose ensemble une structure (S), une période (P) et un mouvement (M) ou changement.
D'où une « définition possible (…) : tout phénomène, perçu ou agi, auquel un sujet peut attribuer au moins deux des critères suivants : structure, périodicité, mouvement. C’est ainsi, par exemple, qu’un rythme ternaire se comprend en termes de structure, un rythme biologique en termes de périodicité, un rythme syncopé en termes de mouvement. Au moins deux critères, c’est-à-dire : structure et périodicité sans mouvement, structure et mouvement sans périodicité, périodicité et mouvement sans structure. Ou bien trois, dans un ordre chaque fois différent et en employant volontairement des synonymes : structure périodique en mouvement, retour d’une forme en devenir, dynamique d’un cycle ordonné. Ainsi, au lieu d’une structure périodique en mouvement, on peut également penser un mouvement premier qui se structure et se périodise progressivement, comme dans le modèle poétique de l’organisation progressive, rythmique et non métrique, du flux du langage. »

Et la suite, un peu plus compliquée à bien comprendre, qui renforce l'idée d'une possible saisie du rythme autrement que comme essence ou substance :
« (…) saisir un rythme en tant que phénomène, n’est-ce pas également être saisi par lui ? D’où l’amphibologie possible, en français, de la formule « Je suis le sujet du rythme », entre un sens actif et un sens passif : si je suis le sujet d’un rythme (si je le produis, l’agis), pour autant le rythme n’est pas objet par rapport à moi ; si je suis l’objet d’un rythme (si je le perçois, suis agi par lui, voire assujetti à lui), pour autant le rythme n’est pas sujet par rapport à moi. La perception du rythme devient alors rythmisation de la perception.
Car rythmer, c’est d’abord être rythmé. En ce sens, le rythme est expérience rythmique ou il n’est pas. Chez Aristoxène de Tarente déjà, la définition se présentait sous cette forme (je souligne) : « Le rythme apparaît lorsque la division des temps prend un ordre déterminé ». Dans ces conditions, la question n’est plus : « qu’est-ce que le rythme ? », mais : « qu’est-ce qui fait être le rythme ? par quoi le rythme est-il rythmique ? où et quand (à partir de quand, jusqu’où) y a-t-il rythme ? »... À travers cette question du seuil du phénomène, nous comprenons à quel point le rythme est une anti-substance, le « rythmisme » un anti-substantialisme. Le rythme, ou plus précisément le rythmique, pose en philosophie la question d’une pensée modale. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire : « le rythme, c’est SPM », mais : « quelque chose devient du rythme lorsque SPM sont combinés en un phénomène pour un sujet donné », dans une expérience rythmique chaque fois singulière — et pourtant partageable avec d’autres singularités. »
Le rythme visuel, d'un tableau ou d'une photographie ! Ce n'est en rien une confusion de termes...

Exemples
Pluies, bourrasques et tornades d'Utagawa Hiroshige
Ou les analyses cinématiques du mouvement par Etienne Jules Marey
Ou l'art non figuratif de Robert Delaunay
Et les néons, lignes et surfaces de François Morelet

François Laplantine , « Le vivant et le vécu, l’expérimentation et l’expérience, la catégorie et l’énergie  »,
Rhuthmos, 14 février 2011 [en ligne]. http://rhuthmos.eu/spip.php?article293

Vitalité et socialité
Chaque époque peut être caractérisée par une tendance dominante, un courant de pensée crédité d’une plus grande légitimité, qui n’exclut pas néanmoins l’existence de contre-courants. La Grèce classique pose la question de l’être (ou de la substance), le Moyen Age la question de Dieu, la Renaissance celle de la nature et le XIXe siècle est traversé par deux préoccupations majeures : le social (avec Balzac, Saint-Simon, Auguste Comte), mais aussi la vie (avec le romantisme).
(…) Au tournant du XIXe et du XXe siècle trois découvertes – qui sont rigoureusement contemporaines – contribuent à introduire la vie dans la pensée : l’invention du cinéma, la psychanalyse et la philosophie de Bergson.

Le cinéma procède d’une transformation technique : l’invention en 1985 d’une machine semblable à une machine à coudre permettant d’entraîner la pellicule, ce que ne pouvait réaliser l’appareil d’Edison, le kinéscope qui ne permettait que de visionner des images.

La découverte de la psychanalyse [
11] s’effectue à partir de la notion de pulsion (trieb) que Freud appelle « pulsion de vie » à laquelle viendra s’opposer dans l’élaboration théorique de la nouvelle méthode d’investigation de l’inconscient la pulsion « de mort ». Faisant éclater la fiction d’un sujet homogène, transparent et identique à lui-même dans le temps, Freud distingue trois instances (le moi, le Ça et le surmoi) ainsi que trois niveaux d’interprétation (topique, économique et énergique). Et il montre que la vie psychique n’est pas réductible à un système de relation entre des pôles préexistants. Pour lui, il existe une flexibilité de la vie relationnelle. Cette dernière est malléable, modelable, ductile et apte à de multiples métamorphoses.

Bergson (1859-1941), dès sa thèse de doctorat [
12], se propose d’étudier les rapports entre ce qu’il appelle « la théorie de la connaissance et la théorie de la vie » (op. cit., p. 492) dont il estime qu’elles sont « inséparables ». Connaître le vivant consiste pour lui à saisir des intensités, des mouvements d’oscillation entre la contraction et la dilatation, la rapidité extrême et la plus grande lenteur en jeu dans les processus de genèse, de maturation mais aussi de vieillissement. Or ces mouvements sont « absolument indivisibles » (op. cit., p. 75). Il convient dans « l’attention à la vie » (p. 312) de ne plus appréhender le temps ou plus précisément le devenir – que Bergson appelle la durée – de la même manière que nous concevons l’espace, lequel est juxtaposition d’éléments mais non pas graduation. Il faut pour cela, écrit Bergson, renoncer à la « confusion de la durée avec l’étendue, de la succession avec la simultanéité » (p. 9). Estimant dans L’Évolution créatrice (1907) que « notre logique est surtout une logique des solides », il en vient à distinguer ce qu’il appelle les concepts solides (qu’il compare à des vêtements de confection) et des concepts fluides (qu’il compare à des vêtements sur mesure). Et il suggère, d’une manière qui pourrait être rétroactivement qualifiée de bastidienne, que les concepts solides ne conviennent pas à l’étude de toutes les situations et de toutes les sociétés.
Les idées développées par Bergson (et aussi par Proust qui commence à écrire le premier volume d’À la recherche du temps perdu en 1908) sont extrêmement éloignées des recherches effectuées à la même époque dans le champ des sciences sociales. Il y a néanmoins un sociologue qui le premier introduit la notion de « vie sociale », c’est Georg Simmel (1858-1918) mais c’est un sociologue qui se réclame explicitement de Bergson. Dans la perspective de l’« élan vital » bergsonien, Simmel distingue les catégories du vivant et le dynamisme du vécu. Ce que l’auteur des Études sur les formes de la socialisation appelle « la fluidité de la vie » ou encore « l’expérience concrète du vécu » met en question la séparation kantienne (kantienne, durkheimienne puis gurvitchienne) des contenus matériels et des cadres formels de la connaissance, lesquels sont tenus pour intemporels, immuables et résolument universels. Avec la vie, estime Simmel, ces formes sont susceptibles de se fluidifier, de se déformer et de se transformer.

Cadence, mesure, rythme et mélodie

Bergson quant à lui s’émerveille des poèmes d'André Suarès publiés dans Rêves de l’ombre, et dont le rythme le place dans un état de ravissement proche du rêve; notons qu’il cite un alexandrin classique et régulier :
« Quel art profond et mystérieux que le vôtre ! Ces vers d’une musicalité si haute,
O fille d’Altaïr, vierge de Beltégeuse
cette prose où s’insinue si subtilement le rythme du vers, nous transportent dans un monde qui n’est plus le nôtre et qui reste pourtant réel. Nous y allons parfois en rêve, mais pour quelques minutes seulement. Vous y restez, vous y circulez à votre aise, et nous éprouvons une indéfinissable émotion à vous suivre. » Correspondance, lettre du 11 mai 1937 à Suarès

Ce qui est certain, c’est que « l’organisation rythmique 33 » de ces phénomènes sonores [sons de la cloche, coups de marteau] ne relève pas de la multiplicité numérique, mais qu’elle est qualitative. Le rythme est certes réduit à une cadence périodique, et aucun mouvement, qui introduirait une certaine souplesse dans la mélodie, n’entre en jeu 34 ; mais c’est précisément une condition importante : la régularité des coups fait éprouver la durée pure parce que cette régularité est hypnotique et dépouille le rythme de sa discontinuité et de son caractère quantitatif. Dès lors, le rythme devient « qualité de la quantité 35 » : contrairement à la répétition pure et simple d’un même élément, l’addition de sons percutés est dynamique et n’est pas une somme obtenue mécaniquement 36. C’est ce qui se produit lorsqu’une conscience somnolente perçoit les oscillations du pendule : le nombre, la quantité s’effacent au profit d’une progression dynamique grâce à laquelle les coups se fondent les uns dans les autres. De la même façon, lorsque Bergson évoque l’impression des sons d’une cloche dans le moi profond, c’est le rythme qui joue le rôle principal : conformément à l’esthétique exposée au début de l’Essai, le bercement de la conscience est le résultat d’une action rythmique.Le rythme demeure donc présent lorsqu’il s’agit de déterminer ce qu’est la durée ; dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience, la régularité et les proportions rythmiques apparaissent même comme des données fondamentales dans l’expérience que nous pouvons en faire. Le rythme, instrument de la suggestion, vecteur de l’hypnose, subit cependant une transmutation telle qu’il abandonne tout contour précis, toute forme nette, toute mesure arithmétique: sa périodicité et son caractère fortement structuré se transforment finalement en mouvement fluide parce que le sujet percevant « se laisse vivre », de sorte que la régularité des percussions cède la place à un flux mélodique continu dont les sonorités s’entremêlent et se confondent.

30. Ibid., p. 78.
31. Ibid., p. 93.
32. Ibid., p. 95.
33. Ibid., p. 79.
34. Sur les trois critères de définition du rythme, structure, mouvement et périodicité, voir Pierre SAUVANET, Le rythme et la raison. I, op. cit., p. 167-213.
  1. Henri BERGSON, Essai, op. cit., p. 79.
  2. Cf. Pierre SAUVANET, Le rythme et la raison. I, op. cit., p. 63; 172-173.
Helléniste, musicologue et compositeur, Emmanuel a résumé sa conception du rythme musical en une formule simple : « Le rythme, en musique, est l’organisation de la durée 44 ». Cette définition peut faire écho à Bergson, bien plus qu’à Platon, selon lequel le rythme est « l’ordre du mouvement ». D’ailleurs, les recherches d’Emmanuel en matière de rythmique présentent des similitudes évidentes avec les notions de fluidité, de mobilité, de continuité, contre lesquelles s’élèvera précisément Bachelard. En effet, tout au long des analyses consacrées à la musique antique dans l’Encyclopédie de la Musique et Dictionnaire du Conservatoire de Lavignac et La Laurencie (1913) et dans l’Histoire de la langue musicale (1911), Emmanuel s’est attaché à montrer que les Grecs avaient ignoré les principes rigides de la rythmique moderne, telle qu’elle s’est établie à la fin du XVIe siècle dans la musique savante européenne.
Contrairement à la pratique professionnelle contemporaine d’Emmanuel, les anciens Grecs avaient connu une rythmique opulente, variée, complexe, dont la principale caractéristique était l’extrême mobilité. Cette grande richesse rythmique servait à suggérer les sentiments et les émotions des personnages. Cette étude de la rythmique gréco-latine a aussi des conséquences pratiques : Maurice Emmanuel, comme de nombreux poètes et musiciens de sa génération, conteste l’équivalence du rythme et de la mesure. En tant qu’artiste, il partage avec les poètes symbolistes et les musiciens post-wagnériens le même rejet d’une rythmique classique ressentie comme étouffante. Comme Debussy, qu’il avait rencontré en 1889-1890, il considère que le rythme ne peut être enfermé dans des mesures régulièrement jalonnées de temps forts : l’isochronisme est un défaut rédhibitoire de la musique moderne et a imposé sa loi à partir du Moyen Âge, en raison de l’évolution linguistique qui s’est produite après les invasions barbares (transformation de l’accentuation mélodique en accentuation tonique). L’un de ses mots d’ordre, en tant que compositeur et théoricien de la musique, est donc d’abandonner la triade barre de mesure-temps fort-carrure, responsable à ses yeux d’un appauvrissement considérable des ressources rythmiques. Il s’agit de retrouver la variété et la mobilité de la rythmique ancienne, qui a perduré jusqu’à la fin du Moyen Âge avant d’être reléguée hors de la musique savante. Un penseur bergsonien trouverait dans cette théorie du rythme une analogie avec les images de l’Essai sur les données immédiates de la conscience : le rythme antique selon Emmanuel, si fluide, si mouvant, si changeant, aurait pu en effet constituer, aussi bien que la mélodie, une métaphore adéquate pour figurer la durée. Mais cette conception du rythme musical n’a pas été envisagée par Bergson dans l’Essai, puisque le philosophe y a gardé, nous l’avons noté, l’équivalence entre rythme et mesure. À cela s’ajoute que la conception emmanuélienne du rythme implique une définition de la grâce différente de celle que Bergson a établie.

44. Cf. Christophe CORBIER, Poésie, musique et danse. Maurice Emmanuel et l’hellénisme,
Paris, Classiques Garnier, « Perspectives Comparatistes », 2011, p. 249 sq.


Chronobiologie ?

Gonseth, Problèmes du temps :

« On dira que le temps intuitif n’est pas simplement un temps inscrit dans les différents rythmes dont notre organisme est le siège : dans le rythme normal du coeur, dans le rythme des pulsations électriques du cerveau, dans le rythme de la respiration, etc. Pour que ces rythmes restent synchronisés et pour qu’on puisse parler de leur fréquence normale, il faut bien que tout notre corps, pris comme un tout, soit plus ou moins comparable à une horloge construite dans le but exprès de réaliser un rythme régulier. Mais le temps intuitif n’est pas le temps sourdement et profondément vécu par notre organisme, même si nous n’y prêtons aucune attention. C’est un temps auquel notre conscience est ouverte » (p. 280).