Voici un nouveau sujet de dissertation :
"En cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la machine militaire dont on constitue soi-même un rouage ou bien aider cette machine à broyer aveuglément les vies humaines. la parole de Liebknecht : "l'ennemi principal est dans notre pays" prend ainsi tout son sens, et se révèle applicable à toute guerre où les soldats sont réduits à l'état de matière passive entre les mains d'un appareil militaire et bureaucratique".
Il oriente nettement la réflexion sur le thème de la liberté. Un sujet mobilisé, envoyé pour faire la guerre, est-il en mesure de faire des choix ? Peut-il encore choisir ? Accepter ou refuser la guerre ?
Voici une discussion. Une nouvelle fois en deux parties. Cette fois il s'agit d'une copie d'un élève de MP.
Un Etat peut être
décrit par ses lois. Or celles-ci différent suivant les Etats
considérés. Certains comportements peuvent être acceptés dans un
Etat particulier et être interdits dans un autre. Malgré leurs
différences historiques, tous les Etats se mettent à fonctionner de
la même manière ou à peu près lorsqu'ils sont en guerre. Toute la
société se trouve affectée et reçoit des ordres, se met à
travailler pour la guerre. Or, comme nous le dit Simone Weil, « En
cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la
machine militaire dont on constitue soi même un rouage, ou bien
aider cette machine à broyer aveuglément des vies humaines ».
Cette idée de choix ne va pas de soi. A-t-on vraiment le choix
d'accepter ou de refuser la guerre ? Quelles sont les
conséquences d'un refus d'obtempérer ? Est-ce même pensable ?
Nous allons voir que cette machine de guerre qui n'est autre que
l'Etat déployant ses forces a besoin que tous les éléments qui la
constituent soient en accord avec elle. Elle impose l'obéissance, ce
qui semble normal, et même la soumission, ce qui l'est moins.
Faut-il préférer l'insoumission ? Est-il permis d'espérer
l'arrêt de la machine ?
L'Etat en temps de
guerre se transforme inéluctablement en une machine de guerre, une
« machine à broyer aveuglément les vies humaines »
comme Simone Weil le précise.
C'est alors toute la
société qui alimente, par son énergie, son temps, ses forces cette
machine infernale. Par exemple l'industrie est un des secteurs les
plus sollicités, l'équipement et l'armement devenant des postes
vitaux. En contrepartie d'autres secteurs sont délaissés et le
rationnement s'instaure. Par exemple dans l'oeuvre de Barbusse, Le
Feu, l'escouade a de grandes difficultés à obtenir des choses
simples comme une boîte d'allumettes. Lorsqu'elle est à l'arrière,
elle est soumise aux profiteurs de guerre. Les poilus sont obligés
d'entamer de longues quêtes pour se fournir en pinard ou trouver une
table accueillante. Avec le prétexte de la guerre, la société tout
entière est devenue prédatrice !
Comme l'ensemble des
citoyens subissant l'effort de guerre, les soldats doivent accepter
de telles contraintes pour respecter l'union sacrée. Cette union des
forces s'impose comme une sorte d'impératif absolu. En temps de
guerre, tous les hommes politiques soutiennent inconditionnellement
le gouvernement. Les syndicats épaulent le patronat. Les patrons se
plient à l'administration. Toute la société est animée par le
sentiment du devoir. Ainsi, sous le régime de la loi martiale le
citoyen n'a plus que des devoirs. Le citoyen enrôlé devient même
un pur sujet auquel le choix est retiré, n'ayant plus de droits à
faire valoir. Il est sûr que des soldats envoyés au front n'ont pas
forcément choisi d'aller affronter l'ennemi. Mais ils choisissent
majoritairement de le faire, pour défendre leur pays. Ils paient le
prix du sang comme le suggère Clausewitz. Ce devoir peut même
paraître naturel à ceux qui sont animés d'un sentiment patriotique
comme le soldat imaginé par l'auteur de de la guerre, livre I,
chapitre 5, qui court au combat sans s'inquiéter pour lui-même des dangers de la guerre.
Mécanisme implacable,
la guerre peut apparaître nécessaire à tous, y compris au soldat
et même s'il est envoyé au massacre. Car elle a un alibi : la
défense du territoire nationale, des richesses q'il contient, des
populations qui y vivent. Les raisons pour faire la guerre peuvent
être déterminantes pour engendrer au moins l'acceptation du conflit
voire un esprit guerrier. Il s'agit de l'honneur du souverain, de la
soif de conquête d'un peuple qui se croit supérieur aux autres, de
la volonté de se venger, pour reprendre les raisons évoquées dans
Les Perses d'Eschyle. L'engagement du soldat en dépend.
Mais toujours est-il
que, quel que soit le motif allégué, si un sujet refuse d'obéir et
qu'il essaye même d'entraver la machine de guerre, il devient un
traître. En réalité le choix individuel se résumerait à trahir
sa nation ou à accepter la soumission.
Le choix de partir en
guerre appartient à l'Etat. C'est même l'essence de la
souveraineté, la prérogative du Prince. Ce choix est fait au nom de
tous les citoyens et implique tous les citoyens une fois pour toutes.
La situation était
différente dans les premiers Etats qui n'étaient guère que des
clans ayant grandi à la dimension de cités ou d'empires, réunion
de cités. Dans Les Perses, le choix de partir en guerre
appartient à Xerxès et non pas à chaque Perse. Son armée ne fait
que suivre ses ordres directs. Elle doit obéir à son maître, voire
à son dieu ! Ce qui est normal, car « l'armée dorée »
(v. 10) « ce grand flot d'hommes » (v. 87) ou « la
fleur des Perses» (v. 252) est davantage une armée personnelle
qu'une armée nationale. Contrairement à l'armée prussienne du
temps de Clausewitz ou à l'armée française en 1914, elle est
composée de guerriers non pas de soldats mobilisés. Quoi qu'il en
soit, le choix de partir en guerre est ordinairement refusé, sauf
peut-être aux élites de la nation. Il s'agit des stratèges, des
diplomates, des chefs d'Etat voire de leurs auxiliaires. Clausewitz
précise alors que la guerre, moyen violent de poursuivre des
négociations ayant échoué, est portée par les décisions d'hommes
qui semblent y jouer ! En premier lieu, le général qui
commande à toute une armée ou à tout un régiment.
En réalité, le choix
de déclarer la guerre est déterminé par trois choses : les
forces armées de l'ennemi, son territoire ainsi que ses réserves,
enfin les alliés qu'il possède et les alliances qu'il est
susceptible d'obtenir. C'est donc bien un jeu stratégique qui
s'enclenche à partir d'un pari initial : est-il pour l'Etat
plus avantageux de lancer maintenant ses forces militaires contre
l'adversaire ou bien de tenter de négocier avec lui et de gagner du
temps ? Peut-il espérer écraser son ennemi ? Dans un
Etat moderne, la masse doit ainsi faire confiance à ses dirigeants
pour que cette machine soit disponible le jour J et fonctionne
efficacement dès l'entrée en guerre. Et, comme cette confiance est
très difficile à obtenir, des sanctions très lourdes sont prévues
à l'encontre des insoumis, pour ceux qui refuseraient la
mobilisation décrétée par l'appareil étatique. Dans Le Feu,
les soldats sont en quelque sorte pris au piège. Et au bout de
quelques mois de guerre ils ne comprennent plus l'utilité de la
guerre mais doivent toujours continuer à la faire, sous peine d'être
sanctionnés par l'Etat-major aussi durement que par les ennemis
boches ! Les déserteurs sont exécutés pour l'exemple, car
leur simple refus équivaut à de la haute trahison. Le pire étant
qu'en désobéissant aux ordres un soldat pourrait avoir l'impression
d'abandonner ses frères d'armes. Par conséquent, les poilus n'ont
plus qu'une seule chance de sortir de cet enfer des tranchées, c'est
d'obtenir la bonne blessure de l'ennemi ! Le narrateur et ses
compagnons sont jaloux de Volpatte qui a obtenu une blessure à
l'oreille, ce qui lui permet de quitter le front pendant quelques
temps.
Au final le soldat est
tiraillé entre deux options : soit trahir sa nation et les
siens, soit aider la machine de guerre en espérant ne pas le payer
de sa vie.
Pour conclure, le choix
qu'on doit faire s'avère cornélien et souvent, dans l'urgence, il
ne se pose même pas. Si on choisit de désobéir, on est un traître,
ce qui conduit la plupart du temps à la mort ; et si l'on
préfère obéir, on est là aussi quasiment certain de mourir dans
le déchaînement de la puissance de feu des armements modernes. Dans
les deux cas, on s'expose à un risque de mort très élevé, la
guerre n'ayant aucune pitié par définition. Il faut pourtant
choisir son camp. Et pour cela il faut un jugement très sûr ou bien
une intuition remarquable. Sans pouvoir éviter par son choix le
sacrifice de sa vie ou de terribles souffrances, le soldat espère
opter pour le possible le moins vain !
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