Résumé de texte
Résumez en 180 mots
le texte suivant de Marcel Conche, extrait de « Temps,
temporalité, temporalisation » (2009). Un écart de 10 % en
plus ou en moins sera toléré. Vous indiquerez avec précision les
groupements de 50 mots par un signe (/) et, à la fin du résumé, le
total.
La temporalisation n’est
que la temporalité dans la forme concrète et individualisée
qu’elle prend chez chaque être humain en fonction d’abord de la
façon dont il entend mettre en pratique les exigences de la morale,
en soi universelle, ensuite de son éthique personnelle, c’est-à-dire
de son choix de vie.
L’homme ne peut vivre
dans le Temps immense de la Nature, car il lui faut croire être, et
il ne peut vivre dans ce qui fait de lui un presque rien, un «
éclair » dans le temps infini. Il lui faut finitiser le temps, se
donner un temps à l’échelle humaine. Il lui faut penser que vivre
cent ans, c’est avoir une longue vie, alors que cent ans, qu’est-ce
que c’est dans l’infini ? L’homme se donne le temps qu’il lui
faut pour pouvoir croire que cela vaut la peine de vivre et d’agir.
Aussitôt réveillé le matin, je me donne un certain empan1
temporel, une certaine longueur de temps, celle qu’il me faut pour
avoir l’élan qui me permettra de déployer mon activité – car
même si je ne suis pas un homme d’action, j’ai une activité. Le
Temps « enfante à l’infini des nuits et des jours », dit
Sophocle (OEdipe à Colone, 617-618). Dans le Temps aux jours
innombrables, je délimite une portion et je vis dans un temps
réduit, rétréci, où je suis moi-même et où j’ai affaire à
des êtres.
L’empan temporel que
l’on se donne est variable, selon que l’on se propose de faire de
petites choses, de grandes choses, ou pas grand-chose ou de
simplement vivre. Il est variable aussi selon que l’on est dans la
jeunesse ou que la jeunesse est passée. Dans la jeunesse, on ne fait
sans doute pas de projet qui impliquerait que l’on vive mille ans.
Cependant, généralement, on ne songe pas à la mort. Mais à un
certain moment de la vie, l’on a un point d’inflexion ou de
basculement, où les projets prennent forme non plus sous l’horizon
de la vie à son acmé (akmè, « sommet »), mais sous
l’horizon de la mort. L’homme temporalise le temps sur le fond de
sa finitude, car il vit sa vie en fonction de sa non-vie. La vie est
finie pour l’animal aussi, mais les animaux ne le savent pas. La
finité de leur vie n’est pas finitude.
Les façons dont les
humains temporalisent, c’est-à-dire s’approprient le temps, sont
variables, disais-je, selon les éthiques, c’est-à-dire selon les
diverses façons qu’ont les hommes de donner du sens à leur vie
(la morale elle-même, qui ne définit qu’un minimum, n’ayant
rien à voir avec le sens de la vie). Les uns se contentent du
bonheur, et ils l’ont facilement sans philosophie pour peu qu’ils
rencontrent l’amour. D’autres veulent la gloire, comme Achille,
ou le pouvoir, comme la Cléopâtre de Corneille, d’autres les
honneurs, d’autres l’argent, comme les financiers, capitalistes,
hommes d’affaires, banquiers en général, d’autres la vérité
scientifique, comme Pasteur, ou la vérité philosophique, comme
Platon, ou embellir le monde, comme les poètes. Chacun a sa façon
propre de se donner du temps, de s’approprier le Temps.
Intéressons-nous
particulièrement aux philosophes. Les grandes philosophies nous
offrent diverses possibilités de comprendre le monde, sans que la
raison, à elle seule, puisse choisir entre elles. Or, elles nous
offrent non seulement diverses possibilités théoriques, mais aussi
diverses possibilités de vie. Les philosophes, en fonction de leurs
philosophies très différentes, vivent de façons très différentes
le temps de leur vie. Du moins en est-il ainsi chez les Grecs. Car
les philosophies théologisées de l’époque moderne, étant
l’œuvre de chrétiens, ne peuvent proposer d’autres manières de
vivre que de vivre en chrétiens – selon les vertus chrétiennes,
avec un zeste de stoïcisme parfois. Descartes, Malebranche, Leibniz,
Berkeley, Thomas Reid, Kant, Hegel, n’ont pas des manières de
vivre très différentes, si ce n’est que Malebranche, Oratorien,
et l’évêque Berkeley consacrent davantage de temps à la prière.
En Grèce, au contraire,
selon que l’on est disciple de Pythagore, ou de Platon, ou de
Diogène, ou de Zénon, ou d’Aristippe, ou d’Épicure, ou de
Pyrrhon, etc., on vit autrement. Si l’on est disciple de Pythagore,
on ne s’enivre pas, on mange frugalement, surtout des légumes,
jamais de viande, rarement du poisson, jamais du rouget ou du poisson
à queue noire, jamais de fèves, on a pour idéal l’abstinence
sexuelle ; on n’a pas de biens propres, car on admet, entre amis,
la communauté des biens. À la fin du jour, on doit faire un examen
de conscience : « Ai-je commis des fautes ? Qu’ai-je fait que je
n’aurais pas dû faire ? Que n’ai-je pas fait que j’aurais dû
faire ? » Diogène et Épicure sont d’accord avec la frugalité
dans le boire et le manger et l’abstinence
sexuelle comme idéal,
mais Diogène vit seul, tandis qu’Épicure vit avec ses amis une
vie philosophique. Aristippe, lui, pense qu’il faut jouir de tout
tant qu’on le peut sans nuire à sa santé. Il mène grand train de
vie, a une table somptueuse ; il habite avec une courtisane,
considérant qu’il n’y a pas de différence entre prendre une
maison qui a déjà été habitée par beaucoup et une qui ne l’a
été par personne.
Dans l’Académie de
Platon, on travaille énormément, avec un emploi du temps strict :
on étudie la musique, l’arithmétique, la géométrie,
l’astronomie, la stéréométrie, toutes sciences propres à former
le philosophe ; on se passionne pour les irrationnelles et le
problème de la duplication du cube. Mais objecte Épicure, nous
pouvons mourir avant même de savoir la stéréométrie : « Fuis
à voile déployée toute paideia », conseille-t-il (Diogène
Laërce, X, 6) : la vie est brève et l’on ne vit qu’une fois ;
alors ne te mets pas à l’étude des mathématiques, mets-toi au
bonheur. Pyrrhon est d’accord avec Épicure : avant tout, le
bonheur. Mais alors qu’Épicure juge la philosophie théorique
nécessaire pour nous faire connaître la vérité et ainsi détruire
les idées fausses qui font obstacle au bonheur, Pyrrhon préconise
l’indifférence comme moyen du bonheur. Car rien n’est plutôt
ainsi qu’ainsi ou que ni l’un ni l’autre : plutôt juste
qu’injuste ou que ni juste ni injuste, plutôt beau que laid ou que
ni beau ni laid, etc. Pyrrhon donne force leçons d’indifférence.
Par exemple, un jour qu’Anaxarque, son disciple, était tombé dans
un marécage, il continua son chemin sans lui prêter main-forte, ce
qu’Anaxarque lui-même jugea admirable. Zénon parlait en allant et
venant devant le portique (stoa) – la galerie à colonnades
des peintres. Ceux qui venaient écouter Zénon furent appelés «
Ceux du Portique », c’est-à-dire Stoïciens. Pour qu’ils ne
soient pas trop nombreux, Zénon les faisait payer. Il passait pour
enseigner la vertu aux jeunes gens, et on lui éleva une statue. Je
pourrais parler d’Héraclite qui s’isolait de ses contemporains,
de Xénophane qui récitait et chantait ses propres poèmes en Grèce
et en Grande-Grèce (Sicile), de Stilpon qui, ayant perdu ses
enfants, sa femme et ses biens du fait de la guerre de Démétrios,
disait qu’il n’avait rien perdu « du sien », puisqu’il avait
toujours sa raison et son savoir. Il y aurait à faire une différence
entre les philosophes qui écrivent, et même abondamment comme
Chrysippe, et ceux qui n’ont rien écrit, comme Socrate qui ne
faisait rien que de chercher à ramener les Athéniens à la raison,
et Pyrrhon qui portait des poulets à vendre au marché, ou de petits
cochons, et, à la maison, faisait le ménage avec indifférence. Les
religions – chrétienne, islamique, bouddhiste, comtiste, etc. –
uniformisent l’homme et règlent son temps de vie. Le croyant n’est
pas libre de s’approprier le temps comme il lui plaît : ce sont
certains jours, certaines heures, certaines dates, certaines durées
qui conviennent pour les offices, les prières, les célébrations,
les fêtes. En Grèce, il en allait de même avec la religion
civique. Mais la religion grecque excluait toute police de la pensée.
Elle était sans dogme, les prêtres n’avaient aucune doctrine et
ne propageaient, dans la plupart des cas, aucune sorte
d’enseignement. Leur rôle n’était que d’accomplir les actes
du culte de la cité. On fit boire la ciguë à Socrate non parce
qu’il ne croyait pas aux dieux d’Homère, mais parce qu’il
mettait en péril, croyait-on, les cultes de la cité. Puisque la
religion n’imposait aucune Vérité, la pensée s’est trouvée
sans entraves. Ce fut l’époque – la seule dans l’histoire du
monde – de la libre pensée. Des philosophies très différentes
virent le jour, explorant tous les champs possibles de la pensée
rationnelle ; et ces philosophies s’incarnèrent dans des types
d’hommes et des personnalités très différentes. Un philosophe
grec est une philosophie en acte. Il signifie par lui-même une
manière singulière de vivre une vie et d’employer le temps de sa
vie – « singulière », c’est-à-dire libérée du collectif,
ouverte à l’universel. Un philosophe grec ne sépare pas sa pensée
de sa vie, sa vie de sa pensée. C’est un existant. Aussi est-il
très important de savoir comment ont vécu les Platon, les Zénon.,
les Épicure, etc. Le seul moderne qui leur soit comparable est
Montaigne.
Note : 1. L’empan
est une ancienne mesure de longueur.
Proposition de résumé
Transformant le temps en
vécu, la temporalisation suppose une morale, un engagement
personnel.
La disproportion absolue
de l'univers et de l'humain est effrayante. Elle suscite le mirage
d'une durée disponible : chacun réduit le temps à sa mesure,
fixe quotidiennement un horizon temporel où déployer son activité.
Certes, /une telle perception est relative. Au pic de sa vie le sujet
découvre une limite auparavant ignorée, sa mort, et modifie ses
projets en conséquence.
Cette variabilité dépend
fondamentalement de décisions éthiques. Une différence d'ambition,
le choix de vivre pour le bonheur ou la gloire, la vérité ou la
/beauté, impliquent une temporalité spécifique.
La diversité des vies
philosophiques, défendant un modèle de vie réussie, illustre
parfaitement les multiples possibilités de temporalisation. Malgré
l'homogénéité de la compréhension du monde diffusée par le
christianisme, la pluralité des représentations apparaît comme un
fait irréductible. Il en découle une disparité /des modèles,
ascétiques ou hédonistes, différant les plaisirs ou soulignant
leur urgence. Par delà les polémiques se forge ainsi un idéal de
vie singulière, rationnelle ou réfléchie, dialogique et
questionnante, volontiers sceptique, opérant l'adéquation entre une
existence et une pensée.
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