Un cours en ligne

Le contenu de ce blog est périssable.
Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

lundi 17 novembre 2014

En cas de guerre il faut choisir

Les "Réflexions sur la guerre de Simone Weil" permettent de considérer la guerre moderne sous l'aspect d'une guerre qui tend à devenir totale.

Voici un nouveau sujet de dissertation :
"En cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la machine militaire dont on constitue soi-même un rouage ou bien aider cette machine à broyer aveuglément les vies humaines. la parole de Liebknecht : "l'ennemi principal est dans notre pays" prend ainsi tout son sens, et se révèle applicable à toute guerre où les soldats sont réduits à l'état de matière passive entre les mains d'un appareil militaire et bureaucratique".

Il oriente nettement la réflexion sur le thème de la liberté. Un sujet mobilisé, envoyé pour faire la guerre, est-il en mesure de faire des choix ? Peut-il encore choisir ? Accepter ou refuser la guerre ?

Voici une discussion. Une nouvelle fois en deux parties. Cette fois il s'agit d'une copie d'un élève de MP.



    Un Etat peut être décrit par ses lois. Or celles-ci différent suivant les Etats considérés. Certains comportements peuvent être acceptés dans un Etat particulier et être interdits dans un autre. Malgré leurs différences historiques, tous les Etats se mettent à fonctionner de la même manière ou à peu près lorsqu'ils sont en guerre. Toute la société se trouve affectée et reçoit des ordres, se met à travailler pour la guerre. Or, comme nous le dit Simone Weil, « En cas de guerre, il faut choisir entre entraver le fonctionnement de la machine militaire dont on constitue soi même un rouage, ou bien aider cette machine à broyer aveuglément des vies humaines ». Cette idée de choix ne va pas de soi. A-t-on vraiment le choix d'accepter ou de refuser la guerre ? Quelles sont les conséquences d'un refus d'obtempérer ? Est-ce même pensable ? Nous allons voir que cette machine de guerre qui n'est autre que l'Etat déployant ses forces a besoin que tous les éléments qui la constituent soient en accord avec elle. Elle impose l'obéissance, ce qui semble normal, et même la soumission, ce qui l'est moins. Faut-il préférer l'insoumission ? Est-il permis d'espérer l'arrêt de la machine ?

      L'Etat en temps de guerre se transforme inéluctablement en une machine de guerre, une « machine à broyer aveuglément les vies humaines » comme Simone Weil le précise.
    C'est alors toute la société qui alimente, par son énergie, son temps, ses forces cette machine infernale. Par exemple l'industrie est un des secteurs les plus sollicités, l'équipement et l'armement devenant des postes vitaux. En contrepartie d'autres secteurs sont délaissés et le rationnement s'instaure. Par exemple dans l'oeuvre de Barbusse, Le Feu, l'escouade a de grandes difficultés à obtenir des choses simples comme une boîte d'allumettes. Lorsqu'elle est à l'arrière, elle est soumise aux profiteurs de guerre. Les poilus sont obligés d'entamer de longues quêtes pour se fournir en pinard ou trouver une table accueillante. Avec le prétexte de la guerre, la société tout entière est devenue prédatrice !
     Comme l'ensemble des citoyens subissant l'effort de guerre, les soldats doivent accepter de telles contraintes pour respecter l'union sacrée. Cette union des forces s'impose comme une sorte d'impératif absolu. En temps de guerre, tous les hommes politiques soutiennent inconditionnellement le gouvernement. Les syndicats épaulent le patronat. Les patrons se plient à l'administration. Toute la société est animée par le sentiment du devoir. Ainsi, sous le régime de la loi martiale le citoyen n'a plus que des devoirs. Le citoyen enrôlé devient même un pur sujet auquel le choix est retiré, n'ayant plus de droits à faire valoir. Il est sûr que des soldats envoyés au front n'ont pas forcément choisi d'aller affronter l'ennemi. Mais ils choisissent majoritairement de le faire, pour défendre leur pays. Ils paient le prix du sang comme le suggère Clausewitz. Ce devoir peut même paraître naturel à ceux qui sont animés d'un sentiment patriotique comme le soldat imaginé par l'auteur de de la guerre, livre I, chapitre 5, qui court au combat sans s'inquiéter pour lui-même des dangers de la guerre.
     Mécanisme implacable, la guerre peut apparaître nécessaire à tous, y compris au soldat et même s'il est envoyé au massacre. Car elle a un alibi : la défense du territoire nationale, des richesses q'il contient, des populations qui y vivent. Les raisons pour faire la guerre peuvent être déterminantes pour engendrer au moins l'acceptation du conflit voire un esprit guerrier. Il s'agit de l'honneur du souverain, de la soif de conquête d'un peuple qui se croit supérieur aux autres, de la volonté de se venger, pour reprendre les raisons évoquées dans Les Perses d'Eschyle. L'engagement du soldat en dépend.
Mais toujours est-il que, quel que soit le motif allégué, si un sujet refuse d'obéir et qu'il essaye même d'entraver la machine de guerre, il devient un traître. En réalité le choix individuel se résumerait à trahir sa nation ou à accepter la soumission.

    Le choix de partir en guerre appartient à l'Etat. C'est même l'essence de la souveraineté, la prérogative du Prince. Ce choix est fait au nom de tous les citoyens et implique tous les citoyens une fois pour toutes.
      La situation était différente dans les premiers Etats qui n'étaient guère que des clans ayant grandi à la dimension de cités ou d'empires, réunion de cités. Dans Les Perses, le choix de partir en guerre appartient à Xerxès et non pas à chaque Perse. Son armée ne fait que suivre ses ordres directs. Elle doit obéir à son maître, voire à son dieu ! Ce qui est normal, car « l'armée dorée » (v. 10) « ce grand flot d'hommes » (v. 87) ou « la fleur des Perses» (v. 252) est davantage une armée personnelle qu'une armée nationale. Contrairement à l'armée prussienne du temps de Clausewitz ou à l'armée française en 1914, elle est composée de guerriers non pas de soldats mobilisés. Quoi qu'il en soit, le choix de partir en guerre est ordinairement refusé, sauf peut-être aux élites de la nation. Il s'agit des stratèges, des diplomates, des chefs d'Etat voire de leurs auxiliaires. Clausewitz précise alors que la guerre, moyen violent de poursuivre des négociations ayant échoué, est portée par les décisions d'hommes qui semblent y jouer ! En premier lieu, le général qui commande à toute une armée ou à tout un régiment.
     En réalité, le choix de déclarer la guerre est déterminé par trois choses : les forces armées de l'ennemi, son territoire ainsi que ses réserves, enfin les alliés qu'il possède et les alliances qu'il est susceptible d'obtenir. C'est donc bien un jeu stratégique qui s'enclenche à partir d'un pari initial : est-il pour l'Etat plus avantageux de lancer maintenant ses forces militaires contre l'adversaire ou bien de tenter de négocier avec lui et de gagner du temps ? Peut-il espérer écraser son ennemi ? Dans un Etat moderne, la masse doit ainsi faire confiance à ses dirigeants pour que cette machine soit disponible le jour J et fonctionne efficacement dès l'entrée en guerre. Et, comme cette confiance est très difficile à obtenir, des sanctions très lourdes sont prévues à l'encontre des insoumis, pour ceux qui refuseraient la mobilisation décrétée par l'appareil étatique. Dans Le Feu, les soldats sont en quelque sorte pris au piège. Et au bout de quelques mois de guerre ils ne comprennent plus l'utilité de la guerre mais doivent toujours continuer à la faire, sous peine d'être sanctionnés par l'Etat-major aussi durement que par les ennemis boches ! Les déserteurs sont exécutés pour l'exemple, car leur simple refus équivaut à de la haute trahison. Le pire étant qu'en désobéissant aux ordres un soldat pourrait avoir l'impression d'abandonner ses frères d'armes. Par conséquent, les poilus n'ont plus qu'une seule chance de sortir de cet enfer des tranchées, c'est d'obtenir la bonne blessure de l'ennemi ! Le narrateur et ses compagnons sont jaloux de Volpatte qui a obtenu une blessure à l'oreille, ce qui lui permet de quitter le front pendant quelques temps.
    Au final le soldat est tiraillé entre deux options : soit trahir sa nation et les siens, soit aider la machine de guerre en espérant ne pas le payer de sa vie.

     Pour conclure, le choix qu'on doit faire s'avère cornélien et souvent, dans l'urgence, il ne se pose même pas. Si on choisit de désobéir, on est un traître, ce qui conduit la plupart du temps à la mort ; et si l'on préfère obéir, on est là aussi quasiment certain de mourir dans le déchaînement de la puissance de feu des armements modernes. Dans les deux cas, on s'expose à un risque de mort très élevé, la guerre n'ayant aucune pitié par définition. Il faut pourtant choisir son camp. Et pour cela il faut un jugement très sûr ou bien une intuition remarquable. Sans pouvoir éviter par son choix le sacrifice de sa vie ou de terribles souffrances, le soldat espère opter pour le possible le moins vain !

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