La guerre est-elle un épisode de politique extérieure ou bien un fait de politique intérieure ?
En vous appuyant sur votre lecture des trois œuvres du programme vous tenterez de répondre à cette interrogation.
Pour une petite dissertation ou discussion, dont la rédaction ne peut se faire en plus de trois heures, il est recommandé de faire un plan en deux parties. Voici, un corrigé, réalisé à partir de la copie d'un élève de la classe de PC.
Il apparaît comme
évident que toute guerre, exception faite de la guerre civile, a
besoin pour exister d'un opposant extérieur. A ce titre et parce
qu'elle instaure l'autre en ennemi, la guerre est en général un
"épisode de politique extérieure". Malgré tout,
ce serait d'après Simone Weil, dans ses réflexions sur la guerre »,
une erreur que de considérer la guerre comme un tel fait plutôt que
comme un "fait de politique intérieure". La
politique extérieure correspond aux efforts pour réaliser des plans
stratégiques et atteindre des objectifs proprement militaires et la
politique intérieure à la mobilisation préalable de tous les
citoyens, forces vives de la nation, et la réquisition des moyens
nécessaires à la poursuite de ces ambitions. Il s'agit donc ici de
juger l'importance relative de ces deux aspects de la politique dans
la conduite de la guerre en définissant précisément les facteurs
qui font d'elle un fait de politique extérieure indéniable puis en
montrant le mécanisme de l'embrigadement des forces vives d'un
peuple par les pouvoirs temporels ou spirituels. Faut-il considérer
la guerre comme l'aboutissement logique d'un rêve collectif de
puissance et comme une forme terrible de servitude consentie ?
On l'a dit, si l'on ne
tient pas compte du cas monstrueux de la guerre civile, au cours de
laquelle une nation se déchire, toute guerre est en partie un
remarquable fait de politique extérieure.
La guerre apparaît comme
l'affrontement de deux puissances. Ainsi, dans De la guerre,
Clausewitz affirme d'emblée que « la guerre n'est rien
d'autre qu'un duel amplifié ». Or, dans un duel, le seul
objectif est de tuer l'adversaire qui nous fait face. Certes le duel
est vécu comme une épreuve morale, qui suppose avec le courage un
retour à soi, mais il n'y a dans le duel lui-même qu'un seul
rapport établi, qui est le rapport entre nous et notre ennemi.
Ainsi, la guerre est une sorte d'affrontement régi par les
interactions qui s'instaurent simultanément entre les États
révélant leur hostilité mutuelle.
La guerre se joue
naturellement à deux ou à plusieurs. N'étant pas un acte isolé et
un pur accident, elle ne se déclenche pas gratuitement, comme une
combustion spontanée. La violence des champs de bataille ne se
déclenche pas de manière instantanée mais résulte du déchaînement
d'un « élément brutal » dominé par une
« intention hostile ». De cette manière, on doit
supposer une maturation de l'idée guerrière bien avant le début
des hostilités proprement dites. L'ennemi est d'abord virtuel avant
de devenir réel. Il est suspecté avant d'être plus clairement
identifié. Lorsqu'une guerre éclate, c'est la conséquence de
rapports hostiles entre des puissances qui se sont longtemps défiées.
Il s'agit pour chacune de ces puissances de réaliser sa politique
extérieure en acceptant de payer le prix du sang.
De plus,
les préparatifs de guerre font intervenir la politique extérieure.
En effet la recherche d'alliés pour partir en guerre fait partie
intégrante des préparatifs de guerre. Cette recherche appuyée par
une diplomatie convaincante est même en quelque sorte le prélude à
la guerre. Dans Les Perses ce n'est pas un État unifié qui
part en guerre mais une multitude de peuples coalisés, de
combattants de diverses origines qui ont été regroupés pour lancer
une attaque contre la Grèce. Avant la grande guerre de Xerxès, il y
eut donc de multiples affrontements préalables, un grand nombre de
royaumes défaits et vassalisés. La guerre dont nous parle Eschyle
est un projet impérialiste qui ne semble pas avoir de fin s'il ne
rencontre pas un jour l'adversaire qui lui inflige une défaite, le
pousse à la retraite.
Il y a tout
de même une limite à cette définition de la guerre à partir de la
perspective de la politique extérieure. C'est que cette approche du
phénomène ne tient compte que du rapport militaire des forces,
adoptant le point de vue des généraux ou des stratèges, et ne
tient pas compte, comme l'avance Simone Weil, des moyens humains mis
en œuvre pour atteindre l'objectif de guerre. C'est ce décalage
qui conduit à l'incompréhension qu'on retrouve dans les pages du
Feu de Barbusse, lorsque les soldats au front se demandent
eux-mêmes pourquoi ils font la guerre, pour quoi on les a lancés
dans une telle aventure absurde.
La
définition de la guerre dont nous sommes partis est incomplète
puisqu'elle privilégie le point de vue de ceux qui dirigent la
guerre contre celui des hommes qui la font. Or, la guerre, pour être
un épisode de politique extérieure, est essentiellement un fait de
politique intérieure.
Le peuple
qui est le sujet et la substance de la guerre tire sa cohésion de
l'art politique qui, selon Protagoras, a été donné à tous les
hommes. Un peuple qui entre en guerre c'est le résultat d'une
politique intérieure habilement menée ! L'erreur que
commettrait Clausewitz, qui est plutôt l'erreur que commettent
aujourd'hui beaucoup d'observateurs des guerres modernes en les
décrivant comme des sortes de fatalité, est de séparer l'homme de
l’État qui l'envoie à la guerre. Dans Pilote de guerre,
Antoine de Saint-Exupéry relate un épisode significatif du temps de
guerre. Un groupe de soldats voulant faire la guerre est confronté à
des civils, femmes et enfants, qui leur demandent de l'aide. Petit à
petit les soldats redeviennent des hommes et se détournent de leur
objectif guerrier. Ainsi les hommes trouvent la paix, « parce
qu'ils ne trouvaient pas la guerre ». Cette anecdote
démontre à quel point les hommes conduits à la guerre resteraient
hostile à elle, s'ils n'étaient pas instrumentalisés, réduits à
l'état de pions, utilisés comme des esclaves mis au service de
l'armement, par les pouvoirs belliqueux – la hiérarchie militaire
mais aussi les dirigeants politiques. Les hommes n'ont pas de buts de
guerre, on leur en impose par tous les moyens.
Nous
pouvons alors repenser la nature de la guerre comme jeu de pouvoirs,
en tenant toujours compte des forces ennemies, du partage de
l'hostilité, mais en prenant également en considération la
résistance des pions. Clausewitz lui-même évoque au premier
chapitre de De la guerre le rapprochement possible de la
guerre réelle avec la notion de jeu. Assis à notre table de poker,
l'autre est si l'on y réfléchit bien un adversaire mais pas
l'ennemi, l'ennemi étant soi-même : ses propres faiblesses, sa
propre peur, sa propre imprudence, son propre manque de lucidité.
En suivant
cette idée il apparaît paradoxalement que la guerre est plutôt
l'opposition entre d'une part un système, réunissant les États en
guerre, et d'autre part une masse d'hommes envoyés à la mort par
ces mêmes États. Ainsi la plus féroce des guerres inter-étatiques
peut s'apparenter à une guerre civile généralisée ! « Deux
armées qui se battent, c'est une grande armée qui se suicide »,
affirme Barbusse. Or la guerre civile ou le suicide collectif
devraient être considérés comme des maladies, des dérèglements
qu'il faut combattre ou soigner à temps. L'exécution du déserteur
dans Le Feu illustre parfaitement le rapport inégal de forces
qui existe à l'intérieur même d'une nation en danger. Ce n'est
plus l'ennemi qui sème la terreur mais l’État pour lequel les
hommes doivent se battre. Ces rapports de domination interne existent
donc bel et bien. Et il importe d'en tenir compte pour approcher
précisément le phénomène de la guerre.
De plus,
comme Clausewitz le dit lui-même, la guerre doit être considérée
à la fois comme étant voulue par la politique d'un État et comme
ce qui détermine la situation politique future d'un État. Une
guerre peut ruiner ou même défaire un État auparavant prospère. À
l'inverse, une déclaration de guerre peut ressouder les liens de
citoyens appelés à payer l'impôt du sang. Une victoire peut
affermir le pouvoir du Prince. C'est donc à l'intérieur de l’État
que la guerre a le plus de conséquences. Il y a certes, dans la
tragédie des Perses, l'exposition de la victoire d'un peuple
sur un autre, mais il y a surtout la mise en scène de la victoire du
système politique grec, démocratique, résistant à la tyrannie des
riches et puissants barbares perses. Toute guerre teste la capacité
interne d'un système politique à résister à une grave crise.
Il y a donc
bien dans la guerre en général une part de politique extérieure au
sens où la guerre exprime une hostilité qui s'extériorise. Mais il
faut alors tenir compte des rapports qui s'instaurent entre l’État
et son armée, les pouvoirs et le peuple, ce qui est précisément
l'objet de la politique intérieure. La prudence ou la sagesse
incitent à faire passer l'humain au premier plan. Il convient de
s'interroger sur les conditions morales et spirituelles qui peuvent
amener à envoyer au massacre des hommes privés de leur discernement
ou de la capacité à dire non. Les objectifs immédiats de la guerre
commandent la mise en œuvre de moyens extrêmes. Une fois ceux-ci
atteints « il n'est plus d'armée, il n'est plus que des
hommes » comme nous le dit Saint-Exupéry.
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