Les colles de lettres-philosophie sont particulières, une demi-heure devant le
professeur, un sujet de culture générale, une méthode exigeante
(enchaînement d'une explication linéaire et d'une dissertation
orale montrant qu'on a autant d'envie d'argumenter sur un sujet
précis que l'auteur du premier texte).
Les sujets sur l'art, la
diplomatie, l'histoire sont souvent très discriminants, certains
étudiants ayant du mal à comprendre le texte ou bien à produire
une argumentation personnelle. Les sujets sur l'écologie, la
technique, l'économie ou la politique apparaissent moins dangereux,
reprenant des notions communes (pollution, développement durable,
mondialisation, délocalisation...) ou bien des évènements récents
qui ont fait la une des journaux télévisés.
Certains se réjouiront de
tomber sur un article parlant du sport ou des jeux vidéos, avant de
se mettre au travail et de découvrir que la familiarité avec le
thème du texte n'abolit en rien les difficultés de l'exercice.
Je souligne maintenant une
difficulté supplémentaire des sujets portant sur quelque chose dont
on a déjà entendu parler : la nécessité de se départir de
ses préjugés ou des idées sommaires que l'on pense avoir... tant
qu'on a pas lu attentivement le texte, peser l'argumentation de
l'auteur. Ce dernier peut également souscrire à des préjugés !
Qui n'en a pas ? Mais en règle générale il en a moins que
nous, car il aborde des rivages par lui fréquenté depuis des
lustres. Car il a recueilli une ample matière, fait d'abondantes
recherches, réfléchi au problème et dialogué avec des personnes
au point de vue différent avant de publier son opinion.
Voici tout de suite un
exemple. L'énergie. Les hydrocarbures, le gaz de schiste. Toute
personne qui se tient au courant de l'actualité sait aujourd'hui
qu'il existe un débat entre - pour simplifier - des industriels et
des écologistes. Les premiers promeuvent l'exploitation de ce gaz,
les seconds veulent la bloquer. En France, en Pologne, dans certains
Etat des Etats-Unis. On présente habituellement la production de gaz
de schiste comme une alternative à l'extraction de gaz ou de pétrole
habituelle, dans des gisements conventionnels, qui est seulement plus
délicate voire plus polluante pour les nappes phréatiques. Celui
qui ne va pas plus loin ne peut dès lors qu'osciller entre optimisme
et pessimisme, croire qu'il y a dans cette question une opposition
entre des gens intéressés et audacieux (les promoteurs) et d'autres
gens désintéressés et frileux (les écologistes).
S'agit-il seulement d'une
question liée à la protection de la nature ?
Quelques recherches nous
apprennent que non. L'exploitation du gaz de schiste est d'abord un
problème technologique, de possibilité d'extraction à un coût qui
n'est pas prohibitif soit qu'on intègre que les coûts directs
d'exploitation soit qu'on prenne en compte aussi d'éventuels dégâts
infligés à la nature. Avant de se demander s'il est souhaitable que
ce gaz soit exploité en France, en Pologne, en Chine, n'importe où,
il convient de se demander ce que recouvre l'expression « gaz
de schiste ». Il faut se demander si l'exploitation de ces gaz
est possible. Et si c'est économiquement raisonnable. La France par
exemple n'a pas l'infrastructure industrielle et les entreprises
spécialisées dans le forage des Etats-Unis. Il faut en tenir
compte.
Voici, à titre
d'illustration, un article tiré d'un blog du Monde, sur le
pic des exploitations du gaz de schiste atteint pour deux grands
gisements américains. Matthieu Auzanneau nous apprend quantité de
choses sur la rationalité de l'exploitation du gaz de schiste :
Et les plus curieux
pourront en amont de leur lecture préciser ce qu'est un pic de
production. Et en aval faire plus amples recherches sur la transition
énergétique. Avec la référence en matière de production et de
consommation d'énergie qu'est Jean-Marc Jancovici, auteur de
l'indispensable site Manicore :
Quittons le sujet
restreint et lointain du gaz de schiste. Lisons le dernier article de
ce site, version complète de celui qui a été publié dans le
journal Les échos du 24 septembre 2013 :
En voici un extrait du
début du texte de Jancovici, qui « met les pendules à
l'heure », suivant l'expression commune :
« Serait-ce à
dire que, depuis Kyoto, nos dirigeants (économiques et politiques)
auraient enfin mis les actes en accord avec les discours ?
Si cela était le cas,
les émissions de CO2 par unité de PIB, qui traduisent
directement combien nous brûlons de pétrole, de gaz et de charbon
pour obtenir un dollar de valeur ajoutée (que ce soit dans le
confort thermique, la mobilité, ou l’appareil productif),
devraient baisser plus vite au sein des pays qui déclarent agir que
chez ceux qui ont dit que ce n’était pas leur problème. De fait,
ce ratio baisse. Entre 1998 – année qui suit le protocole de Kyoto
- et 2012, la France a diminué le contenu en CO2 de son
PIB de 27%.
Mais, sur la même
période, les Etats-Unis - pas écolos du tout comme chacun sait -
l’ont baissé de… 28%. L’Allemagne, icône écologiste dans
notre pays, affiche - 26%, tout comme… l’Australie, pays du
charbon par excellence. La Suède, qui a mis en place une taxe
carbone dès 1991 (ce qui n’a pas l’air d’avoir mis son
économie par terre), termine à - 45%, tout comme… la Russie, un
des plus gros producteurs mondiaux de pétrole et de gaz !
Alors quoi ? Nous
n’avons rien fait de plus que les voisins ? Prenons les transports,
pour commencer, qui engendrent un tiers du CO2
hexagonal. La seule mesure efficace pour faire baisser la
consommation de pétrole - toutes les statistiques le montrent -
est d’en monter le prix, sous une forme ou sous une autre. Or
depuis 1998 la vignette (une taxe annuelle proportionnelle à la
consommation du véhicule) a été supprimée (en 2000 sous Fabius),
le prix réel du carburant a baissé, et le linéaire routier gratuit
a augmenté. »
Pour comprendre ce qui
nous est dit, un petit travail de compréhension est nécessaire :
se rappeler ce qu'est le protocole de Kyoto, se souvenir de ce
qu'était la vignette automobile, mais aussi penser les ratios donnés
en exemple, réfléchir le lien de causalité existant entre le prix
du pétrole et sa consommation dans des secteurs comme celui des
transports.
Et pour comprendre la
suite du texte, jusqu'à sa belle conclusion, il faudra prendre garde
au sens de notions comme « le saupoudrage électoraliste »
(une expression personnelle de Jancovici) ou « l'effet
d'aubaine » (une notion commune de l'économie).
Bonne lecture critique !
Pour terminer, quelques liens vers
d'autres journaux, Libération, La Croix, Le Figaro,
Le Point, articles piochés au hasard de l'actualité de ce début du mois d'octobre 2013 :
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