Un cours en ligne

Le contenu de ce blog est périssable.
Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

dimanche 6 octobre 2013

Quelques indications pour les interrogations de lettres-philosophie


Les colles de lettres-philosophie sont particulières, une demi-heure devant le professeur, un sujet de culture générale, une méthode exigeante (enchaînement d'une explication linéaire et d'une dissertation orale montrant qu'on a autant d'envie d'argumenter sur un sujet précis que l'auteur du premier texte).
Les sujets sur l'art, la diplomatie, l'histoire sont souvent très discriminants, certains étudiants ayant du mal à comprendre le texte ou bien à produire une argumentation personnelle. Les sujets sur l'écologie, la technique, l'économie ou la politique apparaissent moins dangereux, reprenant des notions communes (pollution, développement durable, mondialisation, délocalisation...) ou bien des évènements récents qui ont fait la une des journaux télévisés.
Certains se réjouiront de tomber sur un article parlant du sport ou des jeux vidéos, avant de se mettre au travail et de découvrir que la familiarité avec le thème du texte n'abolit en rien les difficultés de l'exercice.

Je souligne maintenant une difficulté supplémentaire des sujets portant sur quelque chose dont on a déjà entendu parler : la nécessité de se départir de ses préjugés ou des idées sommaires que l'on pense avoir... tant qu'on a pas lu attentivement le texte, peser l'argumentation de l'auteur. Ce dernier peut également souscrire à des préjugés ! Qui n'en a pas ? Mais en règle générale il en a moins que nous, car il aborde des rivages par lui fréquenté depuis des lustres. Car il a recueilli une ample matière, fait d'abondantes recherches, réfléchi au problème et dialogué avec des personnes au point de vue différent avant de publier son opinion.

Voici tout de suite un exemple. L'énergie. Les hydrocarbures, le gaz de schiste. Toute personne qui se tient au courant de l'actualité sait aujourd'hui qu'il existe un débat entre - pour simplifier - des industriels et des écologistes. Les premiers promeuvent l'exploitation de ce gaz, les seconds veulent la bloquer. En France, en Pologne, dans certains Etat des Etats-Unis. On présente habituellement la production de gaz de schiste comme une alternative à l'extraction de gaz ou de pétrole habituelle, dans des gisements conventionnels, qui est seulement plus délicate voire plus polluante pour les nappes phréatiques. Celui qui ne va pas plus loin ne peut dès lors qu'osciller entre optimisme et pessimisme, croire qu'il y a dans cette question une opposition entre des gens intéressés et audacieux (les promoteurs) et d'autres gens désintéressés et frileux (les écologistes).
S'agit-il seulement d'une question liée à la protection de la nature ?
Quelques recherches nous apprennent que non. L'exploitation du gaz de schiste est d'abord un problème technologique, de possibilité d'extraction à un coût qui n'est pas prohibitif soit qu'on intègre que les coûts directs d'exploitation soit qu'on prenne en compte aussi d'éventuels dégâts infligés à la nature. Avant de se demander s'il est souhaitable que ce gaz soit exploité en France, en Pologne, en Chine, n'importe où, il convient de se demander ce que recouvre l'expression « gaz de schiste ». Il faut se demander si l'exploitation de ces gaz est possible. Et si c'est économiquement raisonnable. La France par exemple n'a pas l'infrastructure industrielle et les entreprises spécialisées dans le forage des Etats-Unis. Il faut en tenir compte.
Voici, à titre d'illustration, un article tiré d'un blog du Monde, sur le pic des exploitations du gaz de schiste atteint pour deux grands gisements américains. Matthieu Auzanneau nous apprend quantité de choses sur la rationalité de l'exploitation du gaz de schiste :
Et les plus curieux pourront en amont de leur lecture préciser ce qu'est un pic de production. Et en aval faire plus amples recherches sur la transition énergétique. Avec la référence en matière de production et de consommation d'énergie qu'est Jean-Marc Jancovici, auteur de l'indispensable site Manicore :

Quittons le sujet restreint et lointain du gaz de schiste. Lisons le dernier article de ce site, version complète de celui qui a été publié dans le journal Les échos du 24 septembre 2013 :

En voici un extrait du début du texte de Jancovici, qui « met les pendules à l'heure », suivant l'expression commune :
« Serait-ce à dire que, depuis Kyoto, nos dirigeants (économiques et politiques) auraient enfin mis les actes en accord avec les discours ?
Si cela était le cas, les émissions de CO2 par unité de PIB, qui traduisent directement combien nous brûlons de pétrole, de gaz et de charbon pour obtenir un dollar de valeur ajoutée (que ce soit dans le confort thermique, la mobilité, ou l’appareil productif), devraient baisser plus vite au sein des pays qui déclarent agir que chez ceux qui ont dit que ce n’était pas leur problème. De fait, ce ratio baisse. Entre 1998 – année qui suit le protocole de Kyoto - et 2012, la France a diminué le contenu en CO2 de son PIB de 27%.
Mais, sur la même période, les Etats-Unis - pas écolos du tout comme chacun sait - l’ont baissé de… 28%. L’Allemagne, icône écologiste dans notre pays, affiche - 26%, tout comme… l’Australie, pays du charbon par excellence. La Suède, qui a mis en place une taxe carbone dès 1991 (ce qui n’a pas l’air d’avoir mis son économie par terre), termine à - 45%, tout comme… la Russie, un des plus gros producteurs mondiaux de pétrole et de gaz !
Alors quoi ? Nous n’avons rien fait de plus que les voisins ? Prenons les transports, pour commencer, qui engendrent un tiers du CO2 hexagonal. La seule mesure efficace pour faire baisser la consommation de pétrole - toutes les statistiques le montrent - est d’en monter le prix, sous une forme ou sous une autre. Or depuis 1998 la vignette (une taxe annuelle proportionnelle à la consommation du véhicule) a été supprimée (en 2000 sous Fabius), le prix réel du carburant a baissé, et le linéaire routier gratuit a augmenté. »
Pour comprendre ce qui nous est dit, un petit travail de compréhension est nécessaire : se rappeler ce qu'est le protocole de Kyoto, se souvenir de ce qu'était la vignette automobile, mais aussi penser les ratios donnés en exemple, réfléchir le lien de causalité existant entre le prix du pétrole et sa consommation dans des secteurs comme celui des transports.
Et pour comprendre la suite du texte, jusqu'à sa belle conclusion, il faudra prendre garde au sens de notions comme « le saupoudrage électoraliste » (une expression personnelle de Jancovici) ou « l'effet d'aubaine » (une notion commune de l'économie).

Bonne lecture critique !

Pour terminer, quelques liens vers d'autres journaux, Libération, La Croix, Le Figaro, Le Point, articles piochés au hasard de l'actualité de ce début du mois d'octobre 2013 :







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire