Un
double mouvement spéculatif
Que se passe-t-il dans
l'instant ? Que se passe-t-il à chaque instant quand j'ai un choix à
faire, quand je sens au fond de moi que je peux et dois m'engager,
quand donc une bifurcation se dévoile devant moi ? L'instant a beau
être un point dans le déroulement du temps, il a dans mon existence
une valeur tragique intrinsèque. Une fois qu'il est passé, il est
passé pour l'éternité ! Il appelle donc une méditation sur la vie.
Une recherche de la personnalité que nous sommes vraiment, non pas
de la personne qui résulte de déterminations génétiques ou de
puissants conditionnements culturels, voire de simples influences
sociétales éphémères mais de la personnalité qui peut se révéler dans les
moments cruciaux de notre existence.
Notre personnalité
potentielle et non pas actuelle, notre" moi profond" comme le dit
Bergson.
Le jour où tout bascule,
qui sommes-nous ?
1. Voyager dans le passé.
Nullle personne sérieuse
ne peut imaginer voyager dans le temps et pouvoir, en empruntant la
machine à remonter le temps, changer d'époque. Mais le
questionnement n'a que faire de cette impossibilité physique.
Pierre Bayard s'y livre à ses risques et périls dans le livre intitulé Aurais-je été résistant ou bourreau ?
(éd. De Minuit, 2013) :
"Pour
quelqu'un de ma génération, né après la Seconde Guerre mondiale
et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles
circonstances, il n'existe pas d’autre solution que de voyager dans
le temps et de vivre soi-même à cette époque.
Je
me propose donc ici, en reconstituant en détail l’existence qui
aurait été la mienne si j’étais né trente ans plus tôt,
d’examiner les choix auxquels j’aurais été confronté, les
décisions que j’aurais dû prendre, les erreurs que j’aurais
commises et le destin qui aurait été le mien."
Une telle question
est-elle folle, au motif qu'aucune réponse assurée ne peut être
apportée ? Non, bien sûr. Et chacun peut la reprendre à son propre compte. Qui aurais-je été, si j'avais vécu à une époque ? Qui aurais-je pu être en mai 68, en 1941 sous l'occupation nazie, en 1917 dans un régiment de poilus ?
Lecture de la quatrième partie :
"Le point de bascule", chapitre premier : "De
soi-même".
2. Se tourner vers l'avenir. Le
temps messianique
Qu'est-ce
que le temps messianique ? Ce qui est attendu, même si cela ne vient
pas, quand bien même certains auraient déjà abandonné tout
espoir. La venue du Messie, de l'Imam caché, d'une époque de mille
ans de paix et de félicité (le millénarisme chrétien).
Le temps
messianique est celui de la promesse tenue... curieux pléonasme à
vrai dire que celui évoqué par l'expression "tenir sa
promesse", montrant bien que dans les faits les choses ne sont
pas si simples. Le temps messianique diffère du temps économique,
du temps politique, du temps social sur ce point précis qu'il a
contre lui la force de l'évidence. Il est nié par une myriade
d'espoirs déçus, de promesses non tenues, de lâches ou sages et
raisonnables abandons ! C'est alors pour celui qui croit toujours ce
qui vient néanmoins, alors que lui-même n'a pas renoncé, et sans
doute parce qu'il n'a pas renoncé ! C'est ce qui survient suite,
précisément, à son attente... et donc aussi ce qui survient quand
on ne l'attend plus... quand on ne l'attend plus comme on attend
ordinairement en politique, le grand homme, ou ordinairement, en
économie, le grand patron, et de manière générale l'homme
providentiel !
C'est la
survenance non d'un être providentiel dans le temps (car il n'existe
aucun être de cette sorte, et que des imposteurs) mais d'un temps
providentiel ! Temps de l'apocalypse – ou révélation –
connotée positivement comme une sorte d'harmonie retrouvée, ce qui
vient du fait d'une prise de risque, grâce à moi ou à la capacité
que j'ai de parier, de faire confiance à autrui ou bien seulement
d'avoir la foi !
D'une
certaine façon nous n'avons pas abandonné le questionnement
précédent ! S'il est permis de se tourner vers le passé pour le
vivre en pensées et ainsi se découvrir dans sa vérité, comme
personnalité potentielle, il est possible également de se tourner
en pensées vers le futur pour éprouver sa personnalité actuelle,
sa fragile solidité ! Sommes-nous déjà à la hauteur de notre
espérance ?
Ou
avons-nous encore besoin de croire dans ces substituts du Père et de
la Mère que sont le parti, le programme, le dogme, le pasteur, le
grand frère ?
Temps grec et temps juif,
in Gérard Bensussan, le Temps
Messianique. Temps historique et temps vécu (2001):
"(...) le temps
grec objective les suites dans des points situés sur une ligne et
inscrits dans un champ spatial et optique d’ensemble : c'est
sous cette condition, un temps toujours-déjà construit, que le
temps est mesurable comme objet. [Le temps juif] saisit
l’ensemble des relations par lesquelles un sujet prend place, à
partir de sa propre situation, dans le réseau des générations, des
naissances et des morts, des descendances et des postérités, soit
dans l’histoire proprement dite, en hébreu toledot,
engendrements. Sous cette condition, un temps en train de se
construire, le temps apparaît comme ce qui nous est mesuré, ce
dont, comme nos jours, nous sommes « les enfants ». C'est
tout le sens de l’eschatologie messianique telle que nous l’avons
opposée à la téléologie progressiste qui s’en trouve précisé :
un temps génétique, ou plutôt génésique, face à un temps
objectal et structural.[…] Ce qui a été accompli dans
le passé, nous l’avons sous les yeux lorsqu’il s’agit des
ouvrages des ancêtres, édifices et civilisations, dans la
rétrospection de la mémoire s’il s’agit des actes de nos pères,
et même dans l’efficience singulière de ce qui en aura été
oublié et qui reste, jusque dans sa perte."
L'«eschatologie
messianique telle que nous l’avons opposée à la téléologie
progressiste » ; le temps « génésique» opposé
au temps « structural » ?
L'opposition
d'un temps linéaire « toujours déjà construit »
et d'un temps réticulé, comme réseau de relations généalogiques,
est-ce l'affrontement de deux représentations du temps ou de la
temporalité ? On oppose habituellement le temps linéaire et le
temps cyclique ; la temporalité comme manière singulière de
vivre le temps se distribue en deux modèles ou types de pensée :
d'une part sous le logos philosophique, une stricte
causalité ; d'autre part, avec plus d'audace, l'idée de
possibles déviations, miracles, de la survenue d'évènements
apocalyptiques, absolument imprévisibles, quand on ne les attend
plus ou n'a aucune raison de les attendre... dans des pensées
alternatives, qui sont ou peuvent être considérées comme des
contre-modèles de la temporalité raisonnable.
Le temps
messianique, est-ce le temps de la foi ? Attention à bien utiliser
les termes de foi, confiance et fidélité ; à opposer espoir
profane et espérance religieuse ; à comprendre ce temps comme un
temps mythique, dont la vérité n'est pas et ne pas être
historique !
Sur
l'apocalypse chrétienne, le reportage de Gérard Mordillat et Jérôme
Prieur.
Sur la confiance qui crée
des boucles de rétroaction positive :
"La Confiance",
Philosophie-Arte, dialogue de avec Raphaël Enthoven avec Michela
Marzano
Sur la fidélité, idée
proche de celle de confiance, qui nécessite une attention
particulière depuis que la société ne nous pousse plus guère à
rester fidèle et que cela devient un choix, une sorte de style de
vie, voir l'ouvrage d'Alain Etchegoyen La force de la fidélité
dans un monde infidèle (éd. Anne Carrière, 2006). La fidélité,
un temps figé ou bien un temps à réinventer en permanence ?
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