Un cours en ligne

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Il s'agit de notes de cours, ou plutôt de schémas de cours, qui me servent pour traiter le programme de Lettres-philosophie devant mes classes de CPGE scientifiques, de première et de seconde année. Chaque année un nouveau thème, deux nouvelles oeuvres littéraires et une oeuvre philosophique.
J'en assume l'entière responsabilité, y compris lorsque s'y mêlent des jugements personnels sur des oeuvres et des auteurs, des conseils de lecture peu orthodoxes ou des pointes d'ironie. Le mot d'ordre que je m'efforce de suivre, lié à la lecture de Harry G. Frankfurt, est de ne pas mentir quand il est possible de baratiner, de ne pas baratiner quand ce n'est pas absolument nécessaire.

jeudi 12 juin 2014

Résumé d'un texte de Marcel Conche

Résumé de texte

Résumez en 180 mots le texte suivant de Marcel Conche, extrait de « Temps, temporalité, temporalisation » (2009). Un écart de 10 % en plus ou en moins sera toléré. Vous indiquerez avec précision les groupements de 50 mots par un signe (/) et, à la fin du résumé, le total.

La temporalisation n’est que la temporalité dans la forme concrète et individualisée qu’elle prend chez chaque être humain en fonction d’abord de la façon dont il entend mettre en pratique les exigences de la morale, en soi universelle, ensuite de son éthique personnelle, c’est-à-dire de son choix de vie.
L’homme ne peut vivre dans le Temps immense de la Nature, car il lui faut croire être, et il ne peut vivre dans ce qui fait de lui un presque rien, un « éclair » dans le temps infini. Il lui faut finitiser le temps, se donner un temps à l’échelle humaine. Il lui faut penser que vivre cent ans, c’est avoir une longue vie, alors que cent ans, qu’est-ce que c’est dans l’infini ? L’homme se donne le temps qu’il lui faut pour pouvoir croire que cela vaut la peine de vivre et d’agir. Aussitôt réveillé le matin, je me donne un certain empan1 temporel, une certaine longueur de temps, celle qu’il me faut pour avoir l’élan qui me permettra de déployer mon activité – car même si je ne suis pas un homme d’action, j’ai une activité. Le Temps « enfante à l’infini des nuits et des jours », dit Sophocle (OEdipe à Colone, 617-618). Dans le Temps aux jours innombrables, je délimite une portion et je vis dans un temps réduit, rétréci, où je suis moi-même et où j’ai affaire à des êtres.
L’empan temporel que l’on se donne est variable, selon que l’on se propose de faire de petites choses, de grandes choses, ou pas grand-chose ou de simplement vivre. Il est variable aussi selon que l’on est dans la jeunesse ou que la jeunesse est passée. Dans la jeunesse, on ne fait sans doute pas de projet qui impliquerait que l’on vive mille ans. Cependant, généralement, on ne songe pas à la mort. Mais à un certain moment de la vie, l’on a un point d’inflexion ou de basculement, où les projets prennent forme non plus sous l’horizon de la vie à son acmé (akmè, « sommet »), mais sous l’horizon de la mort. L’homme temporalise le temps sur le fond de sa finitude, car il vit sa vie en fonction de sa non-vie. La vie est finie pour l’animal aussi, mais les animaux ne le savent pas. La finité de leur vie n’est pas finitude.
Les façons dont les humains temporalisent, c’est-à-dire s’approprient le temps, sont variables, disais-je, selon les éthiques, c’est-à-dire selon les diverses façons qu’ont les hommes de donner du sens à leur vie (la morale elle-même, qui ne définit qu’un minimum, n’ayant rien à voir avec le sens de la vie). Les uns se contentent du bonheur, et ils l’ont facilement sans philosophie pour peu qu’ils rencontrent l’amour. D’autres veulent la gloire, comme Achille, ou le pouvoir, comme la Cléopâtre de Corneille, d’autres les honneurs, d’autres l’argent, comme les financiers, capitalistes, hommes d’affaires, banquiers en général, d’autres la vérité scientifique, comme Pasteur, ou la vérité philosophique, comme Platon, ou embellir le monde, comme les poètes. Chacun a sa façon propre de se donner du temps, de s’approprier le Temps.
Intéressons-nous particulièrement aux philosophes. Les grandes philosophies nous offrent diverses possibilités de comprendre le monde, sans que la raison, à elle seule, puisse choisir entre elles. Or, elles nous offrent non seulement diverses possibilités théoriques, mais aussi diverses possibilités de vie. Les philosophes, en fonction de leurs philosophies très différentes, vivent de façons très différentes le temps de leur vie. Du moins en est-il ainsi chez les Grecs. Car les philosophies théologisées de l’époque moderne, étant l’œuvre de chrétiens, ne peuvent proposer d’autres manières de vivre que de vivre en chrétiens – selon les vertus chrétiennes, avec un zeste de stoïcisme parfois. Descartes, Malebranche, Leibniz, Berkeley, Thomas Reid, Kant, Hegel, n’ont pas des manières de vivre très différentes, si ce n’est que Malebranche, Oratorien, et l’évêque Berkeley consacrent davantage de temps à la prière.
En Grèce, au contraire, selon que l’on est disciple de Pythagore, ou de Platon, ou de Diogène, ou de Zénon, ou d’Aristippe, ou d’Épicure, ou de Pyrrhon, etc., on vit autrement. Si l’on est disciple de Pythagore, on ne s’enivre pas, on mange frugalement, surtout des légumes, jamais de viande, rarement du poisson, jamais du rouget ou du poisson à queue noire, jamais de fèves, on a pour idéal l’abstinence sexuelle ; on n’a pas de biens propres, car on admet, entre amis, la communauté des biens. À la fin du jour, on doit faire un examen de conscience : « Ai-je commis des fautes ? Qu’ai-je fait que je n’aurais pas dû faire ? Que n’ai-je pas fait que j’aurais dû faire ? » Diogène et Épicure sont d’accord avec la frugalité dans le boire et le manger et l’abstinence
sexuelle comme idéal, mais Diogène vit seul, tandis qu’Épicure vit avec ses amis une vie philosophique. Aristippe, lui, pense qu’il faut jouir de tout tant qu’on le peut sans nuire à sa santé. Il mène grand train de vie, a une table somptueuse ; il habite avec une courtisane, considérant qu’il n’y a pas de différence entre prendre une maison qui a déjà été habitée par beaucoup et une qui ne l’a été par personne.
Dans l’Académie de Platon, on travaille énormément, avec un emploi du temps strict : on étudie la musique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la stéréométrie, toutes sciences propres à former le philosophe ; on se passionne pour les irrationnelles et le problème de la duplication du cube. Mais objecte Épicure, nous pouvons mourir avant même de savoir la stéréométrie : « Fuis à voile déployée toute paideia », conseille-t-il (Diogène Laërce, X, 6) : la vie est brève et l’on ne vit qu’une fois ; alors ne te mets pas à l’étude des mathématiques, mets-toi au bonheur. Pyrrhon est d’accord avec Épicure : avant tout, le bonheur. Mais alors qu’Épicure juge la philosophie théorique nécessaire pour nous faire connaître la vérité et ainsi détruire les idées fausses qui font obstacle au bonheur, Pyrrhon préconise l’indifférence comme moyen du bonheur. Car rien n’est plutôt ainsi qu’ainsi ou que ni l’un ni l’autre : plutôt juste qu’injuste ou que ni juste ni injuste, plutôt beau que laid ou que ni beau ni laid, etc. Pyrrhon donne force leçons d’indifférence. Par exemple, un jour qu’Anaxarque, son disciple, était tombé dans un marécage, il continua son chemin sans lui prêter main-forte, ce qu’Anaxarque lui-même jugea admirable. Zénon parlait en allant et venant devant le portique (stoa) – la galerie à colonnades des peintres. Ceux qui venaient écouter Zénon furent appelés « Ceux du Portique », c’est-à-dire Stoïciens. Pour qu’ils ne soient pas trop nombreux, Zénon les faisait payer. Il passait pour enseigner la vertu aux jeunes gens, et on lui éleva une statue. Je pourrais parler d’Héraclite qui s’isolait de ses contemporains, de Xénophane qui récitait et chantait ses propres poèmes en Grèce et en Grande-Grèce (Sicile), de Stilpon qui, ayant perdu ses enfants, sa femme et ses biens du fait de la guerre de Démétrios, disait qu’il n’avait rien perdu « du sien », puisqu’il avait toujours sa raison et son savoir. Il y aurait à faire une différence entre les philosophes qui écrivent, et même abondamment comme Chrysippe, et ceux qui n’ont rien écrit, comme Socrate qui ne faisait rien que de chercher à ramener les Athéniens à la raison, et Pyrrhon qui portait des poulets à vendre au marché, ou de petits cochons, et, à la maison, faisait le ménage avec indifférence. Les religions – chrétienne, islamique, bouddhiste, comtiste, etc. – uniformisent l’homme et règlent son temps de vie. Le croyant n’est pas libre de s’approprier le temps comme il lui plaît : ce sont certains jours, certaines heures, certaines dates, certaines durées qui conviennent pour les offices, les prières, les célébrations, les fêtes. En Grèce, il en allait de même avec la religion civique. Mais la religion grecque excluait toute police de la pensée. Elle était sans dogme, les prêtres n’avaient aucune doctrine et ne propageaient, dans la plupart des cas, aucune sorte d’enseignement. Leur rôle n’était que d’accomplir les actes du culte de la cité. On fit boire la ciguë à Socrate non parce qu’il ne croyait pas aux dieux d’Homère, mais parce qu’il mettait en péril, croyait-on, les cultes de la cité. Puisque la religion n’imposait aucune Vérité, la pensée s’est trouvée sans entraves. Ce fut l’époque – la seule dans l’histoire du monde – de la libre pensée. Des philosophies très différentes virent le jour, explorant tous les champs possibles de la pensée rationnelle ; et ces philosophies s’incarnèrent dans des types d’hommes et des personnalités très différentes. Un philosophe grec est une philosophie en acte. Il signifie par lui-même une manière singulière de vivre une vie et d’employer le temps de sa vie – « singulière », c’est-à-dire libérée du collectif, ouverte à l’universel. Un philosophe grec ne sépare pas sa pensée de sa vie, sa vie de sa pensée. C’est un existant. Aussi est-il très important de savoir comment ont vécu les Platon, les Zénon., les Épicure, etc. Le seul moderne qui leur soit comparable est Montaigne.

Note : 1. L’empan est une ancienne mesure de longueur.


Proposition de résumé

Transformant le temps en vécu, la temporalisation suppose une morale, un engagement personnel.
La disproportion absolue de l'univers et de l'humain est effrayante. Elle suscite le mirage d'une durée disponible : chacun réduit le temps à sa mesure, fixe quotidiennement un horizon temporel où déployer son activité. Certes, /une telle perception est relative. Au pic de sa vie le sujet découvre une limite auparavant ignorée, sa mort, et modifie ses projets en conséquence.
Cette variabilité dépend fondamentalement de décisions éthiques. Une différence d'ambition, le choix de vivre pour le bonheur ou la gloire, la vérité ou la /beauté, impliquent une temporalité spécifique.
La diversité des vies philosophiques, défendant un modèle de vie réussie, illustre parfaitement les multiples possibilités de temporalisation. Malgré l'homogénéité de la compréhension du monde diffusée par le christianisme, la pluralité des représentations apparaît comme un fait irréductible. Il en découle une disparité /des modèles, ascétiques ou hédonistes, différant les plaisirs ou soulignant leur urgence. Par delà les polémiques se forge ainsi un idéal de vie singulière, rationnelle ou réfléchie, dialogique et questionnante, volontiers sceptique, opérant l'adéquation entre une existence et une pensée.


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